La ceinture de mon oncle
À Lévis, le long du fleuve, à environ une demi-lieue en amont de l’église Notre-Dame, au pied des hautes falaises couronnées de pins qui s’avancent en promontoires dénudés ou se creusent en anses pittoresquement ombreuses, côte à côte avec les rails du Grand-Tronc et de l’Intercolonial, et suivant les sinuosités de l’escarpement, s’allonge une route bordée de maisonnettes dont la double rangée se brise, par-ci par-là, pour faire place à quelques gracieux cottages et même à d’assez luxueuses villas, encadrées dans la verdure.
Sur une longueur d’à peu près un mille, cette route s’appelait autrefois les Chantiers.
J’ai passé là ma première jeunesse, ou plutôt mon enfance, car j’en suis parti à l’âge de dix ans – pour, hélas ! pérégriner un peu toute ma vie, à la recherche de la branche où la Providence me réservait de bâtir définitivement mon nid.
Au point où s’élevait notre demeure, à moitié dérobée sous le dôme ogival de grands ormes chevelus, le chemin bifurquait – chemin d’hiver et chemin d’été – pour aller se rejoindre un peu plus haut, laissant, à quelques centaines de mètres de chez nous, un espace intermédiaire où les grandes marées du printemps et de l’automne poussaient des amas de copeaux et de longs espars, pêle-mêle avec de vieilles souches, des débris de trains de bois et autres épaves, qui pourrissaient là sous la pluie, la neige et le soleil.
Louis-Honoré Fréchette – Novembre