Elle danse dans le noir

Depuis que ma mère est morte je ne tue plus les mouches.

La bas, sur les ailes déployées de l’horizon, sur les grandes ailes de sa tendresse, elle devient l’été, la pluie, le temps. Et chaque jour un peu plus, je sens que je me rapproche d’elle, je deviens ce qu’elle est devenue, la lumière et le vent.

(L’auteur assiste au transport des cartons de déménagement de son ex)
Le plus difficile pourtant était de voir dépasser la tête d’une poupée ou de l’ours en peluche de notre fille. Ce moment je ne le souhaite à personne. On devrait avoir la force d’attendre qu’il n’y ait plus entre nous d’ours en peluche. Les livres se partagent, les hivers aussi. Les enfants…

(...)

Je vis une semaine sur deux avec ma fille, l’autre avec mon cahier. Marilou me rend heureux, mon cahier m’empêche d’être triste. Il est là, rouge, sur mon bureau, il attend que ma fille reparte et que j’ai besoin de lui. Dès qu’elle s’en va, je l’ouvre et mon cœur n’a pas le temps de m’envahir. Dès qu’elle revient, je la serre contre moi, nous dansons et je n’ai plus besoin de parler avec de l’encre pendant des nuits, de tremper ma plume dans mon cœur. «Se faire un sang d’encre», c’est peut-être cela écrire, tracer des mots pour contenir son sang.

Dans son lit d’hôpital ma mère quittait son corps et entrait dans le mien où elle allait vivre désormais.

Quarante ans de tendresse. Toutes les rues de Marseille, les tramways, les soirs rouges de mistral et ces milliers de regards penchés sur moi. Ces millions de sourires, de silences d’amour, de pas dans la complicité de nos manteaux d’hiver. J’avais envie de dire Maman… Maman… Maman… Parce que rien n’est plus doux à dire, plus bouleversant. Dire maman jusqu’à ce que le sommeil m’emporte. Le sommeil des enfants qui ne sont jamais seuls, qui ne connaissent pas la solitude des gares et des trains qui s’en vont.

Les mots nous sauvent de tout. Ils remontent de si loin. Ils nous viennent de nos mères.
Les premiers mots d’abord, les plus simples, les plus forts. Le mot maman, le mot amour, le mot caresse. Tous les mots ne sont pas dans les dictionnaires. Les vrais mots sont dans le regard d’une maman, dans son sourire. C’est le sommeil retrouvé, la grande paix de la nuit, les téléphones inutiles, le vol lent et bleu des rêves. Ecrire c’est aimer sans la peur épuisante d’être abandonné. Seules les mères et l’écriture ne nous abandonnent jamais. Chaque cahier qui s’ouvre est un berceau calme et blanc. Chaque cahier fait de nous un enfant.

Depuis que ma mère est morte je ne tue plus les mouches.

Il y a des jours comme celui-ci, on va, on vient, on entre dans un café, on marche dans les rues, on débouche sur des places, on dit : " La fontaine ne coule pas aujourd'hui " ou " Donnez-moi un pain. " Les gens vous parlent. Sans doute leur répondez-vous. Certains vous touchent le bras, vous croient l'un des leurs. Ils vous voient encore mais vous n'existez plus. Vous êtes comme une étoile morte. ( p 101- 102/ Folio )

Trois minutes de silence, c'est aussi long qu'un été sans amour.

Ecrire c'est aimer sans la peur épuisante d'être abandonné. Seules les mères et l'écriture ne nous abandonnent jamais. Chaque cahier qui s'ouvre est un berceau calme et blanc. Chaque cahier fait de nous un enfant.