Dans l’enthousiasme de ses vingt et un ans, Aurélie tournoyait,
serrait plus fort dans ses bras les pigeons voyageurs dont
elle était chargée de recueillir les messages et qui constituaient
la seule liaison rapide entre le gouvernement replié et l’étatmajor
de l’armée. Le député Steenackers, ministre des Postes,
lui avait confié cette tâche à laquelle elle se donnait de toute son
âme de patriote.
Désormais, elle évoluait dans le milieu où depuis toujours elle
ambitionnait de vivre ; certes, elle n’était qu’un serviteur privilégié,
mais il ne tenait qu’à elle, elle en était certaine, de franchir
rapidement les échelons qui la séparaient encore d’un monde
qu’elle voulait conquérir. Demain, ne serait-elle pas dans la loge
ministérielle dominant le parterre du Grand Théâtre où s’entasseraient
toute la noblesse et la bourgeoisie de la capitale provisoire
de la France ?
Aurélie, pour la première fois depuis ses fiançailles, douta de son avenir. Cependant malgré son angoisse, peut-être à cause aussi d'une certaine déception, la jeune femme subit le charme envoûtant de ces lieux de prière. Elle constata avec stupeur que, depuis qu'elle avait franchi le lourd portail de la zaouia, c'était un peu comme si elle éait entrée par surprise dans un ordre nouveau ; cet univers inconnu, il lui restait à le conquérir, car jusqu'ici, toute à son amour, elle n'avait conquis que le coeur d'un homme.