« Qui écrira la lettre qui annoncera ma mort ? Personne, car on ne retrouvera pas mon corps, je ne quitterai pas l'Angola, je serai emporté par le flux rétrograde du temps et je retournerai à Troie où je redeviendrai Cassandre. J'aurai de nouveau maille à partir avec le néant. L'effroyable, le sombre silence des dieux est-il audible ? »
Cassandre, fille de Priam, a le don de prophétie : elle sait, le destin de chacun, le sort de Troie, l'heure de sa mort. Mais parce qu'elle a mis en colère Apollon, il la condamne à ne jamais être crue. Savoir, sans pouvoir le dire, sans pouvoir agir, c'est la condamnation que le petit Rauli a en commun avec la sublime Cassandre. Lui grandit dans la Cuba communiste des années 70, et dès les premières années qu'il passe à lire et à regarder la mer, il sait qu'il est Cassandre, qu'il mourra en Angola à l'âge de 19 ans de la main du Capitaine de son unité, il sait et ne peut rien faire. Il court à sa perte, s'engage, se laisse humilier par ses camarades, abuser par son chef, mais ne peut rien faire. Il mourra.
Raul est un personnage d'une infinie douceur, il aime la littérature et s'habiller en femme. Il est beau, d'une beauté féminine qui le rend désirable et condamnable à la fois. Lui n'a pas de désirs sexuels, il subit les brimades et se dissimule, écrasé encore par le régime communiste, qui lui impose à 19 ans d'aller combattre l'impérialisme colonial en Angola. Qui pourra sauver Raul de son destin, sinon la force tragique de Cassandre?
Dans un aller-retour vertigineux entre l'enfance de Raul, la guerre en Angola et l'histoire de Cassandre,
Marcial Gala compose un roman sombre et dérangeant. On se sent révoltés par le sort réservé à Raul/Cassandre, de l'école jusqu'aux rangs de l'armée, martyrisé et condamné par sa différence, par son impossibilité à se conformer à l'idéal masculin viril et violent porté aux nues par le régime.
J'ai aimé l'écriture brutale et lumineuse de ce roman qui porte en lui la grandeur de la tragédie. Une très belle découverte!