Drugstore : Drogues illicites et trafics en France

J'ai découvert ce livre via une interview de son auteur menée par la revue de géopolitique "Conflits". A la faveur d'une Masse Critique, j'ai pu le lire assez rapidement, alors qu'il avait filé dans ma liste à lire quelques jours auparavant.

Si je devais le décrire en trois mots, ce serait : alarmant, éclairant et politique. "Alarmant" parce que la consommation de drogues dans le monde et en France ne cesse de grimper, menant à un accroissement des zones d'influence des activités criminelles. "Eclairant" car il contient beaucoup de chiffres et d'analyses récentes du phénomène, aussi bien mondial que français. Et "politique" parce que Michel Gandilhon, notamment expert en la matière au CNAM, a fait le choix d'en parler beaucoup dans ce livre, qui sonne comme une adresse à l'Etat français.

Effectivement, la situation est délétère, et l'auteur permet d'en prendre conscience pleinement avec des informations bien choisies et présentées dans leur contexte. Je retiens par exemple : que le trafic de drogue dans sa forme actuelle est avant tout un avatar du capitalisme libéral tardif, particulièrement en ce qui concerne les logiques de profit et de circulation des marchandises, et que les trafiquants ont très bien su faire leur cette doctrine de l'enrichissement quoi qu'il en coûte - ou quand l'argent devient le seul horizon existentiel ; que les ports français et européens sont une porte d'entrée considérable de ces marchandises, à l'instar des produits légaux ; que cette activité illégale s'adapte très rapidement au changement, notamment à ceux induits récemment par le confinement lors du Covid19, et qu'elle en a finalement peu souffert.

Oui, tout cela est bien alarmant donc, dans un climat social lui aussi dégradé, menant à une archipélisation de la France (comme décrite par Jérôme Fourquet dans un livre récent). Là où je suis plus circonspect, c'est sur la dimension politique de ce livre : l'auteur rappelle bien les effets néfastes du néo-libéralisme et ses conséquences sur les activités illégales, le rôle parfois trouble mené par les Etats dans l'histoire du trafic de drogue (opium, héroïne, France, Etats-Unis, etc.) ; il redit aussi que les politiques de tous bords ont été inefficaces jusque-là pour endiguer ce phénomène, alors que la Justice applique mal les peines prévues.

Ce qui m'a dérangé pourtant, c'est ce chapitre intitulé "Un procès sans sujet", une diatribe de 12 pages contre les penseurs de gauche français (certains du moins) qui selon lui ont la culture de l'excuse lorsqu'ils abordent la question du trafic de drogue dans les cités. Ce chapitre a tout du réquisitoire politique, du travers d'opinion, dans une étude jusque-là équilibrée - pourquoi ce choix ? J'aurais également aimé en apprendre plus sur les consommateurs de ces drogues, alors que l'auteur se concentre presque exclusivement sur l'offre et ses méthodes, rappelant au passage que la production de drogues est telle aujourd'hui qu'elle dépasse la consommation.

Dans le dernier chapitre, il revient de manière approfondie sur la légalisation du cannabis à usage non médical dans certains Etats et pays, se demandant si cette "ouverture" peut être une solution au trafic en France. Là aussi, ces pages méritent le détour car elles nuancent les espoirs que certains placent en la légalisation, concernant par exemple la santé publique et l'adaptation des groupes criminels.

Une bonne lecture en somme, si l'on accepte de se confonter aux aspects plus politiques (et assez vite pesés/emballés) du livre, mais aussi à un grand nombre de coquilles qui émaillent le récit (l'attentat du Bataclan en novembre 2016, vraiment ?). On aurait aimé ici une relecture plus attentive de la part du Cerf.

C'est une vague de drogue massive qui s'abat sur la France. Qu'elles soient d'origines végétales ou chimiques, ces drogues déstructurent les territoires et font monter la violence et la pression des réseaux. Un phénomène qui s'amplifie et qui mute depuis une dizaine d'années.

27/05/2023 - 08:30 Lecture 6 mn.


Vingt morts par balle à Marseille depuis le début de l'année, soit en moyenne un par semaine. Des règlements de compte opérés loin des quartiers traditionnels de la criminalité, mais qui visent à chaque fois à éliminer des hommes du clan adverse. Ces fusillades sont la manifestation visible de la vague de drogue qui submerge l'Europe et la France. Dans les métropoles et les villes limitrophes, mais aussi, de plus en plus, dans les villes moyennes de province, où circulent cannabis et cocaïne.

Sous le double effet de la baisse des prix et de la hausse de la production, la consommation n'a cessé de croître et donc, avec elle, les trafics. Dans un ouvrage d'enquête qu'il vient de publier sur le sujet, Drugstore, (Le Cerf, 2023) Michel Gandilhon, qui travaille depuis de longues années pour différents organismes de lutte contre les drogues, donne des chiffres qui montrent l'ampleur du phénomène : 5 millions de consommateurs annuels pour le cannabis, en hausse de 45 % depuis le début des années 2000, quand la consommation de cocaïne a été multipliée par cinq.



Géographie des drogues



Cocaïne d'Amérique latine, cannabis du Maghreb, héroïne d'Afghanistan, la géographie des drogues suit celle des terroirs où poussent les plantes qui en sont les bases. Mais les événements de politique intérieure contribuent aussi à cette production et cette diffusion. Les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) ont longtemps participé à la production et à la diffusion de la cocaïne afin de financer leurs activités terroristes. L'effondrement politique de l'Afghanistan n'est pas étranger à la croissance des plantations de pavot et, en Afrique de l'Ouest, la faillite de nombreux États, dont le Nigeria, contribue à l'essor de la production de drogues de synthèse, consommées sur place, mais aussi exportées.

Trafics de migrants et trafics de drogue s'entremêlent, les premiers étant utilisés par les réseaux mafieux pour travailler dans les usines de production implantées clandestinement en Europe. L'Albanie, comme État failli, a vu prospérer des réseaux de criminalités désormais implantés en Italie et en France. Dans les années 2010, les mafias albanaises s'installent à Lyon et dans le Rhône puis s'étendent dans l'Allier et le Puy-de-Dôme. La drogue sort des grandes villes pour s'étendre dans les campagnes et les villes rurales où une nouvelle population s'adonne à sa consommation, ce qui va de pair avec l'essor des trafics et donc des violences.



Une chaîne mondiale



Du producteur au consommateur, c'est toute une chaîne mondiale de la drogue qui se fortifie et se développe pour assurer les trafics et les échanges. Si la répression est aussi difficile, c'est que nombreux sont ceux qui en vivent et donc qui freinent les enquêtes judiciaires. Mules, transporteurs, vendeurs, guetteurs, c'est toute une série de petits boulots de la drogue, toutefois très bien rémunérés, qui tire profit de cette économie ; même si pour certains cela conduit à une mort jeune et violente.

Dans les ports européens, Le Havre, Rotterdam, Anvers, les forces de police doivent démanteler des réseaux de corruption imbriqués et opaques : des dockers payés pour récupérer des cargaisons (payés 1 000 € le kilo), des grutiers qui assurent des déchargements, des directeurs qui embauchent des mafieux à des postes clefs du port, moyennant pots-de-vin. Toute une série de procès récents a mis à jour ces complicités, y compris dans des communes de région parisienne et de Normandie où des maires ont largement subventionné certaines associations tenues par des chefs criminels afin d'avoir la paix et des voix. Si la France n'a heureusement pas encore atteint l'état du Mexique, où la guerre contre la drogue a fait plus de 320 000 morts en dix ans, force est de constater que l'imprégnation mafieuse est de plus en plus forte.



Quelles solutions ?



Michel Gandilhon présente quelques-unes des solutions qui ont été tentées, notamment les cas de dépénalisation et de libéralisation, comme au Colorado ou aux Pays-Bas. Si cela a pu prendre des cas très différents selon les pays, cela a rarement fonctionné. Dans le Colorado, la vente de cannabis étant assurée par des entreprises privées, celles-ci ont cherché, en toute logique, à étendre leur marché et leurs bénéfices, ce qui a fait exploser le nombre de consommateurs, sans faire disparaitre les trafics : près d'un tiers du cannabis vendu l'est par des réseaux criminels, qui le vendent moins cher (parce que non fiscalisé) que dans le réseau autorisé.

C'est ainsi que 48 % des 18-25 ans consomment du cannabis dans l'État du Colorado contre 24 % en France. Aux États-Unis toujours, les drogues issues de médicaments, tel le fentanyl, sont en train de causer des ravages sociaux et sanitaires majeurs avec près de 100 000 morts annuels par surdose. de quoi déstructurer des familles, des villes et un pays confronté à une crise sociale qui, si elles n'engendrent ni grève ni manifestation, n'en est pas moins destructeur.
Lien : https://www.wansquare.com/01..

Je remercie déjà l'équipe de la masse critique pour m'avoir permis de pouvoir lire ce livre. La drogue est un sujet très controversé dans un monde où maintenant tout est accessible.
J'ai aimé la construction de ce livre sous forme de chapitre détaillé et dans un ordre chronologique ce qui nous permet de remonter l'histoire au fur et à mesure.
Tout y est pour tout connaître sur ce sujet néfaste et biensur j'ai terminé cette lecture avec la peur au ventre car quand est-il de notre avenir face à un produit qui nous entoure t-en et d'ailleurs je le vois au quotidien qu'il s'empare sous toutes les formes de notre jeunesse. A l'heure où nous jouions au claque doigts les jeunes gonflent des ballons et aspire des capsules de gaz.
Je mettrais juste un petit bémol sur la partie prise de position politique, est ce un avis mesuré et objectif ou est-ce une implication engagée.

Reçu grâce a Mass Critique.

Le livre est vraiment très intéressant !
Il est découpé en thème ainsi qu'en sous chapitre ce qui permet de bien s'y retrouver lors de notre lecture.

Il se lit vite car l'auteur reste le plus simple possible tout en n'oubliant rien.
Il y a des tableaux de chiffres, toutes les informations sont sourcées.

Je le conseille vraiment, c'est un essai vraiment très fourni et complet.