Voilà, je préfère l'amour des livres, même quand ils sont mauvais, il y a toujours quelque chose qui les sauve...
C'est de toi que parle une peinture, tu y reconnais une image inédite de toi, un désir que tu portes depuis toujours, la clé d'une énigme, même -et surtout- si tu n'en as pas conscience. Tu crois t'emparer d'un tableau. Foutaises ! En réalité, c'est le tableau qui s'empare de toi. Le vrai coupable, c'est lui, les juges n'ont rien compris. On ne vole bien que ce qu'on aime. Forcément, on le négocie bien, on fait payer au client la douleur de s'en séparer. Le voleur s'enrichit d'arrachements successsifs. Il porte en lui une douleur inextinguible, il vole et il vend. C'est sa damnation particulière.
Gabriel m’avait mis en garde : « attention ! Quand on lit la première phrase, on est foutu. » Qu’importe ? Toute ma vie vient buter sur cette phrase. Tout ce que j’ai vu, vécu, aimé, haï, raté et parfois réussi.
Tout tient dans ces huit mots :
Longtemps, je me suis couché de bonne heure.
Que Gédéon coule des jours tranquilles à Antibes, que Raymond soit heureux en prison, que Denise vienne vite écrire sa partition sur ces pages, et que le monde tourne aussi mal que d’habitude !
Le temps s’est arrêté, je suis semblable à l’homme qui erre parmi les horloges sans aiguilles et les montres sans forme.
Alors, je me penche sur le manuscrit et j’attaque la deuxième phrase :
Parfois, à peine ma bougie éteinte, mes yeux se fermaient si vite que je n’avais pas le temps de me dire : « je m’endors. »
Rien ne me retenait à une femme.
Avec France, je n'avais pas à me plaindre.
Le monde autour de lui le captivait, il s'y arrêtait, le mettait en phrases. en phrases complexes, onduleuses, qui progressaient selon une trajectoire invisible, qu'il ne prévoyait peut-être pas lui-même. Et moi à la suivre, j'avais le sentiment d'entrer dans ses phrases, de les lire, non dans leur contenu, mais dans leur mouvement -dans leur dynamique si on préférait-, et je me dis qu'au delà de l'histoire racontée dans un livre, dans n'importe quel livre, ce devait être celui-là qui liait un lecteur à son auteur, et qu'on appelait probablement un style.
...nous avions vu un film où des forçats avançaient avec des chaînes aux pieds. C'était ainsi que mon père voyait son travail. A cette différence que les chaînes étaient devant lui et qu'il les poussait au lieu de les traîner. Il poussait toute la semaine, puis, le dimanche, il vendait dans les marchés des journaux qui appelaient à se délivrer de ces chaînes.
Une violente angoisse me saisit.
Et si moi aussi j'appartenais à ce royaume des morts? En face de moi, la vitre me renvoya mon image, je reconnus ma silhouette, mais je n'osais regarder de plus près si je vivais.
C'est ici que tout va commencer.
Par la faute d'un homme, d'un écrivain.
Il l'ignore, mais ce n'est pas une excuse.
Ceci est l'histoire d'une grâce.
Au sens pascalien du terme. Une grâce accordée à quelques élus qui peuvent la perdre ou la garder.
C'est selon.
La véritable élégance ne s'attarde pas sur elle même