Je n'aurais jamais imaginé rencontrer ce Sébastien Ponchelet, ancien délinquant mené par ses rencontres.... Sholam, son compagnon de cellule, Gabriel, grand farceur assez maladroit, mais aussi France, sa logeuse et ses deux ados mal dans leurs baskets, et puis aussi Raymond, et Denise...et bien d'autres dans ce roman psycho/policier! On verrait bien tous ces protagonistes dans un film d'action!. Je suis entrée dans l'histoire un peu méfiante et puis vite convaincue, ça touche un peu à la littérature, mais aussi aux beaux-arts. C'est bien écrit, ça m'a bien plu.
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C'est de toi que parle une peinture, tu y reconnais une image inédite de toi, un désir que tu portes depuis toujours, la clé d'une énigme, même -et surtout- si tu n'en as pas conscience. Tu crois t'emparer d'un tableau. Foutaises ! En réalité, c'est le tableau qui s'empare de toi. Le vrai coupable, c'est lui, les juges n'ont rien compris. On ne vole bien que ce qu'on aime. Forcément, on le négocie bien, on fait payer au client la douleur de s'en séparer. Le voleur s'enrichit d'arrachements successsifs. Il porte en lui une douleur inextinguible, il vole et il vend. C'est sa damnation particulière.
Gabriel m’avait mis en garde : « attention ! Quand on lit la première phrase, on est foutu. » Qu’importe ? Toute ma vie vient buter sur cette phrase. Tout ce que j’ai vu, vécu, aimé, haï, raté et parfois réussi.
Tout tient dans ces huit mots :
Longtemps, je me suis couché de bonne heure.
Que Gédéon coule des jours tranquilles à Antibes, que Raymond soit heureux en prison, que Denise vienne vite écrire sa partition sur ces pages, et que le monde tourne aussi mal que d’habitude !
Le temps s’est arrêté, je suis semblable à l’homme qui erre parmi les horloges sans aiguilles et les montres sans forme.
Alors, je me penche sur le manuscrit et j’attaque la deuxième phrase :
Parfois, à peine ma bougie éteinte, mes yeux se fermaient si vite que je n’avais pas le temps de me dire : « je m’endors. »
Mieux que Sotheby’s ou Christie’s, mieux que n’importe quel musée au monde. Ici, la peinture t’explose à la figure, elle t’offre ce qu’elle a produit de plus génial. Elle te montre ses dessous, comme une femme amoureuse. Tu as tout devant toi : impressionnisme, cubisme, réalisme, minimalisme, tachisme, symbolisme, paysagisme, écoles flamande, italienne, française, écoles de Barbizon, de Pont-Aven, pop art, peintres célèbres, inconnus, Modigliani, Van Gogh, Cézanne – il me montra un tableau aux couleurs ocre à l’entrée du hangar, un enfant se jetait aux pieds d’un homme qui pouvait être son père, un Rembrandt, dit-il, Le Retour du fils prodigue, il vient de l’Ermitage, un de nos meilleurs coups –, et puis Gainsborough, Magritte, Kandinsky, Gauguin, Miro, ils sont ici avec Homer, Claus, Rauschenberg, Alechinsky, Pierre Blanchette, Don Lévi Cendari, Tailhardat, sans compter les lithos, les aquarelles, les eaux-fortes, les dessins, Picasso, Toulouse-Lautrec, Goya : Les Caprices et la Tauromachie du musée de Castres, et les femmes peintres, les femmes sans lesquelles rien n’aurait jamais lieu – il prit plusieurs tableaux éparpillés sur le sol et me les présenta l’un après l’autre, tel un peintre s’adressant à un éventuel acquéreur –, Berthe Morisot, dit-il, une impressionniste, et voici Finlandaise de Sonia Delaunay, ce tableau était à la mairie de Paris, pour une exposition sur Cézanne et Dubuffet, les gardiens dormaient ; là, Toyen, une artificialiste : et puis les collages de Monique Herbert ; ici un autoportrait d’Elisabeth Vigée-Lebrun (le tableau représentait une femme du XVIIIe siècle, coiffée d’un immense chapeau), il vient du Kimbell Art, au Texas, un sacré travail pour l’embarquer, tu peux faire confiance aux Américain pour surveiller les musées, Elisabeth Vigée était une portraitiste hors pair, elle a réalisé près de sept cents portraits, dont celui de Marie-Antoinette, avec qui elle était très liée. Tu vois, ce n’est pas la variété qui manque. Tiens, jette un œil là-dessus.
Il reposa ses toiles et m’indiqua un tableau où l’on voyait une femme assise sur une chaise, derrière se tenait un homme grand et barbu, et autour d’eux jouaient des enfants. Ils étaient vêtus comme dans la seconde partie du XIXème siècle.
– Le Retour de l’homme en frac, dit-il, un Elstir, un impressionniste de l’époque de Manet et de Whistler. Il a très bien connu Berthe Morisot, dont il a été l’amant. On ne le dirait pas, mais c’est un tableau extraordinaire : à partir d’une scène bourgeoise, Elstir te dégage une poésie du luxe digne du XVIème siècle. Le mari rentre du théâtre ou d’une soirée ou de n’importe où, peut-être du bordel, il retrouve sa femme est ses enfants, rien que de très banal. Mais pour peindre cette banalité, quelle force ! Le mari est encore en habit, remarque l’opposition entre les bouillons de sa chemise et les sinuosités noires de son frac. Vélasquez n’aurait pas fait mieux. Et sa femme, tu as vu ? Le velours noir de sa robe qui s’harmonise avec le noir du frac, regarde bien sa traîne, on dirait une vague bordée d’écume et de dentelles, qui répond aux bouillons blancs de la chemise du mari. Les enfants, eux, il les a peints avec des couleurs presque végétales, assorties aux nuances des tapis, des tentures et des fleurs dans les vases. Des correspondances partout, comme dans une pièce musicale – je me demandais quand il s’arrêterait avec son Elstir, mais il était intarissable –, Elstir, poursuivit-il, c’est un peintre peu connu du grand public, mais essentiel. Aussi essentiel que Gauguin. Evidemment, ce n’était pas du tout le même genre, Gauguin c’était une force de la nature, un fou furieux de la couleur, tandis qu’Elstir opérait dans la nuance et dans la délicatesse. Ils vivaient à la même époque, mais ils ne se sont jamais rencontrés. Heureusement, parce qu’ils ne se seraient pas entendus ? Pourtant, malgré leurs différences, leurs démarches n’étaient pas aussi éloignées qu’on le prétend.
Des musées, j’en avais déjà visité avec l’école. J’en gardais le souvenir de kilomètres de tableaux alignés comme pour une revue. Quand on avait fini d’en regarder un, il fallait passer au suivant, puis aux mus suivants, aux salles suivantes, aux étages suivants. Ça n’en finissait pas, à perte de vue des enfilades de couloirs, de salles, de murs, de tableaux sur les murs, de cohérence didactique, de textes explicatifs, et de tableaux encore, baignant dans une odeur douceâtre et poussiéreuse, une odeur de parquet ciré. J’étais épuisé, mes pieds criaient grâce, je ne voyais plus rien. Alors, je m’enfuyais ou j’attendais dans un coin que la visite fût terminée, dégoûté de l’instruction et de la peinture pour le restant de mes jours.
Mais ce que je vis dans ce hangar était d’une tout autre nature. Certes, les murs étaient recouverts de tableaux, de chefs-d’œuvre comparables à ceux des musées, mais on n’y trouvait pas cet agencement irréprochable destiné à instruire. Ici, aucune pédagogie de la présentation, mais de la pagaille, du foutoir à l’état brut, somptueux, celui de la richesse – la vraie, quand ruissellent l’or, l’argent, les parfums et les pierreries. Les œuvres étaient entreposées partout où il y avait de la place : accrochées aux murs, empilées par terre ou sur des chaises, formant çà et là des monticules, telles des collines émergeant de la pénombre et de la poussière ... De cette pagaille naissait une impression de splendeur comme je n’en avait jamais vu. Une magnificence qui s’étalait dans un chaos absolu. Plus que des lampes, la lumière qui illuminait le hangar semblait provenir des tableaux eux-mêmes.
Le monde autour de lui le captivait, il s'y arrêtait, le mettait en phrases. en phrases complexes, onduleuses, qui progressaient selon une trajectoire invisible, qu'il ne prévoyait peut-être pas lui-même. Et moi à la suivre, j'avais le sentiment d'entrer dans ses phrases, de les lire, non dans leur contenu, mais dans leur mouvement -dans leur dynamique si on préférait-, et je me dis qu'au delà de l'histoire racontée dans un livre, dans n'importe quel livre, ce devait être celui-là qui liait un lecteur à son auteur, et qu'on appelait probablement un style.