Citations sur Les passantes (17)
S'occuper des autres est aussi une manière de se fuir, non ?
Dans le fond, je suis comme beaucoup de nos vieilles personnes, seule malgré l'enfant ou les enfants mis au monde. Un jour, ce constat de solitude, d'éloignement, qui me pisse juste un peu par le coeur, me fera vraiment souffrir. Ne pas y penser. S'en tenir à la sagesse orientale. Vivre une minute après l'autre, une heure après l'autre, et faire en sorte que chaque minute, chaque heure soit un commencement.
Je connais tout de ces situations maintes fois rencontrées en trente ans de métier. Mais je n’ai jamais pu me faire à cette peur qui vous étreint lorsque vous sonnez à la porte d’un patient, que vous entendez dans le fond de son appartement des cris ou des râles ou, pire encore, le silence, et que vous n’avez aucun moyen de voler au secours de celle ou de celui qui a tant besoin de vous. Appeler les enfants, souvent occupés, loin, injoignables, tenter d’alerter un voisin qui a peut-être un double de la clef. En dernier recours : appeler les pompiers…
J'ai toujours préféré la sympathie à l'empathie. Ne voit-on pas mieux les choses et les gens avec un minimum de recul ? Je paye le prix de cette froideur que j'ai choisie. Souriante et froide. Professionnelle. On me respecte mais on ne m'aime pas. Ai-je besoin d'être aimée? Avant, lorsque j'étais jeune, j'aurais répondu non sans hésiter. Aujourd'hui, je suis moins catégorique. Je ne sais plus.
Sans doute me suis-je construite sur ces demi-silences dont je n'ai jamais souhaité réveiller les murmures. Car les silences bruissent pour qui sait les entendre.
L'hôpital entre avec nous chez les vieux, insidieusement, sur nos talons. Et ils passent, sans à peine y penser, du confort voluptueux du lit profond à la rigueur du lit médicalisé. Tout un trajet de vie est là, dans ce simple passage, dans ce changement de décor.
C'est étrange comme la nudité, les corps fatigués, meurtris, déformés, blessés de mes patients me semblent plus difficile à regarder, à toucher, ici dans les lieux de leur vie ordinaire, leurs appartements parfois vétustes, parfois opulents, meublés, décorés et qui sont les écrins plus ou moins plaisants de leur longue vie.
J'avais oublié la règle d'or de mon métier. Faire le maximum puis oublier, ne pas s'attacher.
On a souvent évoqué ma générosité, mon empathie, mais c'est oublier que donner, se donner est le moyen le plus sûr de garder de la distance. De se soustraire.
Partir est le mot clé de mon vocabulaire intime. Partir pour fuir. Se fuir. Quelle blague. On n'est jamais plus soi-même que lorsqu'on est loin de son port d'attache, de ses racines, de sa vie ordinaire. Ce qui me plaît dans le partir, c'est quitter le quotidien et tous ceux qui en sont la chair. Les individus, pas ma fonction auprès d'eux. Je suis infirmière et j'aime l'être car je crois encore qu'on peut réparer les vivants. Au propre et au figuré.