La mer était opaque. Vagues glissantes. Ombres changeantes. Un soleil aveuglant qui se réfractait sur la surface. L'eau ne permettait de discerner aucune forme humaine.
J'ai cligné des yeux. Du temps a passé. Je me tenais dehors, sur le trottoir, dans le vent propre. Ça m'est arrivé souvent, et ça a duré longtemps. On cligne des yeux, et une heure s'évanouit. On ferme les yeux et c'est tout un après-midi qui s'envole. À croire que quelqu'un découpait mon calendrier intérieur avec une paire de ciseaux pour en retirer du temps. (P.32)
Se souvenir c'est réécrire. Photographier, c'est substituer.
Un jour, il y a longtemps, j’ai lu que les nonnes qui intégraient un couvent avaient interdiction de parler de leur vie d’avant. Les îles Farallon semblent former un ordre religieux à part entière et imposent le même vœu de silence.
J'ai entendu la rumeur distante des océanites qui chantaient.
Le bruit venant de l'extérieur était presque symphonique - la basse profonde de la mer, le vent qui gémissait comme un violon, le soprano des phoques, le piccolo des oiseaux. Une musique sauvage.
Le processus d’acclimatation est toujours le même. Ce qui est inconnu devient familier – ce qui était étrange devient ordinaire – les viscères luisants du monde sont retournés comme des gants.
Au cours des douze derniers mois, une chaîne l’a attachée à l’archipel. Le temps passé dans cet endroit l’a altérée comme un navire amarré au port - érodé par la marée, battu par les vagues, des trous creusés dans la coque, sali, abîmé et méconnaissable.
Si Dieu a bien créé le monde, il semble avoir délégué le façonnage des îles Farallon à son beau-fils encore mineur, qui, en plus, s'est servi d'une mauvaise argile. p.21
Le processus d’acclimatation est toujours le même. Ce qui est inconnu devient familier -- ce qui était étrange devient ordinaire -- les viscères luisants du monde sont retournés comme des gants.
La mer elle-même était noire comme du goudron.