Citations sur Sambre : Radioscopie d'un fait divers (110)
Ne subsistent de ces agressions sexuelles trois décennies plus tard que quelques procès-verbaux retrouvés dans les archives séparées de la police et de la gendarmerie. La justice n’en a conservé aucune trace.
« Aucune trace d’enquête n’a été retrouvée. Aucune analyse biologique n’a été ordonnée. Aucun rapprochement ne semble avoir été fait avec un autre viol commis au même endroit quatre ans plus tôt, avec le même mode opératoire (dont le bâillon de tissu enfoncé dans la bouche, comme dans plusieurs cas) sur une adolescente que l’on avait préféré ne pas croire. Pas de rapprochement non plus avec l’agression, beaucoup plus récente, d’une lycéenne l’année précédente, là encore quasiment au même « endroit, à la même heure. Un même policier du commissariat de Jeumont s’est pourtant occupé des trois affaires.
En ce début des années 2000, douze ans après la première série d'agressions à Maubeuge, la délinquance sexuelle est encore largement dans l'angle mort du récit médiatique. Sans que l'on sache qui de la source ou de la plume choisit de taire ces faits, ni d'ailleurs pour quelles raisons. Une pudibonderie qui se refuserait à la description d'actes sexuels ? Un mépris pour des faits estimés peu importants ? Ou simplement du déni ? La délinquance sexuelle est aussi dans l'angle mort du discours politique ; elle ne fait pas débat public. Il y a cette phrase qui revient toujours et qui hante Annick Mattighello : "Il n'y a pas mort d'homme". Entre eux, les élus n'en parlent pas. Pour les agressions en série de la Sambre, des autres couches de censure viennent se superposer à celles-ci, de la part des autorités cette fois-ci : le souci de ne pas troubler l'ordre public et celui de ne pas gêner l'enquête en révélant des éléments qui pourraient pousser le violeur à adapter son comportement et sa stratégie. Celui, enfin, de ne pas donner une mauvaise image de la région. Un raisonnement incompréhensible pour Annick Mattighello au regard du risque encouru pour ses administrées.
Annick Mattighello est la première à appréhender cette série d'agressions et de viols sous un angle préventif. A penser qu'il faut communiquer. A introduire l'idée de protection des victimes potentielles, et à prendre des mesures concrètes pour cette protection. A tenir compte, aussi, de l'ampleur de la déflagration psychologique chez les victimes. Sa démarche est avec le recul d'une troublante modernité. Mais à ce moment-là, elle est jugée totalement incongrue par toutes les autres autorités qu'elle : la police, la justice, les autres élus...
Ils ont mis en exergue les lacunes et les angles morts des investigations
Laetitia, elle, ne peut pas raconter son viol à la barre. Car elle ne s'en souvient pas. Elle ne sait pas précisément ce que Dino Scala lui a fait [...] car il l'avait étranglée jusqu'à ce qu'elle perde connaissance. [...]
Laetitia s'assoit sur une chaise à côté du pupitre, elle baisse la tête et écoute, pétrifiée, cet homme à deux mètres d'elle, raconter le viol qu'il lui a fait subir et qui la hante depuis vingt-cinq années.
Des années plus tard, après l'arrestation de son agresseur, Sabine se défendra encore de la tenue qu'elle portait ce matin-là. Elle insistera : "J'étais en doudoune."
Après son dépôt de plainte, les policiers ne l'ont pas envoyée voir de médecin pour expertise. "Ils m'ont laissée comme de la merde", racontera-t-elle encore vingt ans plus tard, rage au ventre. La femme était alors enceinte de plusieurs semaines, elle perdra un des jumeaux qu'elle portait. Elle perdra aussi son travail, incapable d'y retourner après l'agression. Elle n'a plus jamais travaillé.
Un tiers des victimes de Dino Scala étaient des adolescentes.
A propos du dépôt de plainte de Charlène, cette adolescente de 17 ans qu'une policière de Maubeuge et son collègue avaient cuisinée des heures l'accusant de mentir, il se retourne vers les bancs des parties civiles et déclare, mesurant la solennité des mots qu'il emploie : "C'est honteux." Il tient à présenter ses excuses, "au nom des services de police." Pour Charlène, assise parmi les autres sur le banc des victimes, la justice se rend à cet instant précis.