Eux sur la photo

Aujourd’hui, lorsque je pense à eux deux, je mesure la force de leur lien, ce lien qui nous a conduits l’un vers l’autre à trente-sept ans de distance, à partir d’une improbable coupure de journal. (…)Oui, c’étaient eux sur la photo, qui nous parlaient, nous appelaient… Je les contemple jusqu’au vertige et je crois les entendre nous dire qu’il faut vivre maintenant, saisir la chance qu’ils ont laissée échapper. »

La haine est un poison qui se retourne toujours contre celui qui l'éprouve. (page 226)

L'homme se tient face au miroir, dans la lumière d'une fin de matinée printanière, qui découpe au mur des rectangles plus clairs. Sa chevelure a absorbé le parcours transversal des rayons solaires, et en ressort chargée de l'éclat d'une fourrure d'animal. Deux rides d'expression, comme des guillemets, barrent la zone intermédiaire des sourcils. Mais les yeux clairs ne cillent pas ; les quelques pattes d'oie qui les cernent indiquent que leur propriétaire est en marche vers la quarantaine.

Chère Hélène,

Une pensée très amicale pour vous depuis la Scandinavie. Vous qui aimez le nord et le froid, vous seriez ici comme un poisson dans l'eau (glacée).
Bises.

Stéphane

Je me demandais ce qui fait la vérité d'un être, ce que l'on devient quand on grandit sans souvenirs, qui étaient ces gens qui m'avaient connue et dont je ne savais rien, s'il restait en moi quelque chose d'eux, un mot, une image, une odeur.

À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire

Moi je regardais ses yeux délavés, laiteux, comme tous ceux des grands vieillards, ces yeux qui trente-neuf ans plus tôt m'avaient contemplée dans les bras de ma mère et en avaient gardé la photographie intérieure quelque part dans les replis du cerveau, une photographie que je ne verrai jamais.

Nous avons reçu et déjà déballé onze caisses d'archives que j'ai commencé à trier: toujours cette émotion, inévitable, quand on croise le regard d'outre-tombe de ceux qui ont été photographiés cent ans plus tôt. (p.99)

Vous me demandez qui va se souvenir de nous. Je vous dirais volontiers que c'est d'abord à nous de nous en soucier. De recréer un présent qui nous appartiendra et que nous ne nous disputerons pas les morts. Nous sommes poussés en avant, c'est vrai. Mais d'un même mouvement, cette fois.

Toujours cette émotion, inévitable, quand on croise le regard d'outre-tombe de ceux qui ont été photographiés cent ans plus tôt.