Souviens-toi de ce que je t'ai toujours dit, Stefan. Le 800 mètres, c'est la course la plus belle et la plus dure qui soit. Plus dure que le 400, épreuve de vitesse prolongée, puisqu'il s'agit, comme le faisait Harbig, de couvrir quatre 100 mètres successifs à 11 secondes 5 de moyenne. Mais s'il suffit pour gagner un 400 d'être fort, bien sûr, de partir à fond dès le coup de pistolet et de ne pas céder d'un pouce jusqu'à l'arrivée, le 800, lui, réclame davantage. C'est une course de vitesse de longue haleine, où il y a temps, toutefois, pour la réflexion, l'habileté et l'intelligence. il faut donc en tirer parti au maximum. il faut regarder ses voisins, épier l'allure de ceux qui vous précèdent, jauger leur forme, écouter le souffle de ceux qui vous suivent, le bruit de leurs pointes, pesant ou léger, en déduire quelque chose de profitable, une indication, un avertissement, un soutien. Il faut lutter comme un diable pour se placer, et surtout à la meilleure place, penser à se dégager au bon instant, parer toutes les attaques, toutes les ruses. Il faut calculer l'endroit exact où il convient d'improviser, de se lancer soi même à coup sûr, avec toutes les chances, tous les atouts. Très bien, parfait, si l'on s'acquitte entièrement de ces tâches, si l'on se montre avisé et psychologue. II importe encore que que tous ces soucis ne nuisent pas à l'effort physique, à son épanouissement, et que la coordination soit totale. Je rabâche, d'accord ! Tu sais tout cela aussi bien que moi. Tu l'as prouvé. Mais tu sais de même que les bonnes habitudes se perdent mieux et plus vite qu'elles ne s'acquièrent, que la clairvoyance, l'audace, l'esprit de décision sont, comme le reste, simple affaire d'entraînement.
la fraternité sportive est une belle chose, mais la rivalité a plus de saveur.
Et tandis qu'il lui présente la flamme du briquet, des gouttes de sueur tombent sur sa main. "Malade, monsieur le lieutenant ? - Quelle idée ! crie Michael. Est-on malade un jour pareil, quand on a failli déjà mourir cent fois et qu'on touche enfin au bout de son existence! Quand la guérison est proche, pour vous et moi, pour bien d'autres, de toutes les maladies du monde....Qu'on doit au contraire profiter du répit, jouir de sa chair, de sa sueur, de ses glandes...Pas malade, non ! De la bonne façon. Comme il faudrait l'être, après tout. D'une colique, d'un vieux rhumatisme, d'un abcès au foie, à la rate, au derrière. D'une de ces choses bénies, inespérées, qui vous sauvent pour un temps. Et à quoi bon tricher ! Vous aviez raison, Scheffer. Je suis malade de peur. Voilà!"