Merveilles et processions

L’homme ne fait le bien que s’il y est destiné,
et le mal qu’il commet point ne disparaît, fût-il inhumé.
Nombre de personnes sont telles des machines
que manipule le destin, l’espace d’un jour ; puis elles se brisent.
Ne qualifiez pas celui-ci de puits du savoir,
ni cet autre d’honorable seigneur.
Car même l’élite est un troupeau conduit par la voix des bergers,
et celui qui ne suit pas sera délaissé.

La mort est comme la mer, celui dont les éléments sont légers
la traversera, et celui qui porte le boulet de la matière y sombrera.

Nous ne vivons que pour découvrir la beauté. Tout le reste n’est qu’attente.

Le corps est une matrice pour l’âme ; celle-ci y demeure
jusqu’à maturité, puis s’élève et le corps d’être inhumé ;
l’âme est ainsi l’embryon ; et qu’est-ce que le jour de la mort,
si ce n’est celui de l’enfantement, sans fausse-couche ni césarienne ?

Qu’est-ce que le bonheur en ce monde, si ce n’est un mirage
tant désiré ! Dès lors qu’il prend corps, l’homme s’en lasse.
Il est pareil à une source d’eau qui se précipite avec ardeur vers la plaine,
et sitôt qu’elle l’atteint, elle devient un fleuve de boue qui traîne.
L’homme ne trouve son bonheur que dans la fièvre de s’emparer
du fruit défendu ; et lorsqu’il y parvient, il finit par se tempérer.
Si tu rencontres un homme vivant heureux à l’écart du fruit défendu,
sache qu’il est digne d’être paré de toutes les vertus.

Chez l’homme, l’amour revêt plusieurs aspects,
dont la plupart ressemblent à des brins d’herbe sans fleur ni fruit.
L’amour est souvent comme le vin, celui qui en consomme peu
s’en trouve comblé et celui qui en abuse encourt un danger.
Et si la procession de l’amour est dirigée par la chair
vers une couche drapée d’intentions, l’amour se donnera la mort,
comme un roi désireux de mettre fin à sa vie
après avoir été emprisonné et trahi par les siens.

Le libre sur terre construit, sans le savoir,
de ses visées, sa propre prison et il s’en trouve captivé.
Car même s’il se libère de sa parentèle,
il restera esclave de l’être qui s’empare de son cœur et de sa pensée.
Assurément, il est ingénieux ; mais son acharnement même
pour la justice relève de la futilité voire de l’orgueil démesuré.
Certes, il est indépendant ; mais son empressement même
à atteindre le faîte de la gloire éternelle relève de la médiocrité.

Chez l’homme, le savoir est une multitude de chemins
dont le début est connu, mais la fin est dans la main du temps et du destin.

La force de l’âme est une vérité qui ne peut être reniée
par celle des bras, que l’on veuille ou pas.
Si tu vois un peuple gouverné par un faible,
c’est parce qu’il voit en lui son reflet, sinon il s’exilerait.

Chez l’homme, la religion est un champ qui n’est cultivé
que par celui qui le sème de prières intéressées,
que ce soit un prêcheur plein d’espérance en la félicité éternelle
ou un ignorant qui craint les flammes de l’enfer.
Sans le châtiment du Jugement dernier, nul Seigneur l’homme n’aurait adoré
et sans la récompense espérée, il aurait blasphémé ;
comme si la religion était un fonds de commerce :
s’il s’y dévoue, il gagnera et s’il le néglige, il perdra.