Le soleil n'est jamais si beau qu'un jour où l'on se met en route.
Son regard est mauvais plus que méchant. J’en connais qui préféreraient, et qui préfèrent en être loin que près : Catherine par exemple, le petit blond par exemple, le patron par exemple qui m’a déjà demandé qui était ce personnage que je traînais avec moi. Je ne peux pas dire que j’aime ce regard-là ; personne ne peut l’aimer. Il n’annonce rien de bon. Il vous juge à son profit. Et moi je sais que celui qui a ce regard, et l’envie de profiter de tout le monde, ne peut plus profiter de personne. (p135)
Il ne s’agit que d’être Monsieur tout-le-monde. C’est le meilleur moyen qu’on vous foute la paix.
Quelques gouttes de sang éclaboussent le ciel ; la nuit les efface avec sa main grise.
On se débrouille mieux avec des manques qu’avec rien.
(p139)
Pour savoir ce qu’il a fait à Saint-Crépin je peux toujours repasser. Il ne refuse pas de répondre, au contraire, il répond. Il ment. Il s’en tient fermement à son mensonge. Il embellit son mensonge. Je m’y connais et j’en bave. Il ment franc, si on peut dire. Je sais qu’il ment, il ne s’en cache pas et je sais qu’ayant écouté ce mensonge je ne saurai jamais la vérité. Même si un autre me la dit, même si cent autres me la disent. Même si j’ai des preuves. J’ai trop intérêt à croire ce qu’il dit. (p52)
Il me demande où est passé tout l’argent qu’il avait sur lui. Je lui réponds que, quand je l’ai trouvé dans la souillarde en train de geler à côté du pot de chambre, il n’avait pas un rond dans les poches. Sauf ce couteau que je lui rends.
— Que tu m’as pris ?
— Que je ne t’ai pas pris. Que je t’ai emprunté pour les besoins de la cause.
J’attends qu’il me dise que je lui ai également emprunté sa galette pour les besoins de la cause. Mais il ne le dit pas. Je suis même certain qu’il ne le pense pas. Mais la pensée des autres nous ne la connaissons jamais. Nous l’inventons. (p119)
Je suis cependant toujours sur la route. Une route sait généralement ce qu'elle fait ; il n'y a qu'à la suivre.
Elle mâche de l'amertume avec sa soupe.
Quand on est bel et bien en présence du problème qui consiste à ce qu'on appelle vivre qui est simplement en définitive passer son temps, on s'aperçoit vite qu'on n'arrive pas à le passer sans détourner les choses de leur sens. Père et mère, femme et enfants, voisins, voisines, si l'on s'en sert comme il se doit, ça mène à peu de chose. Mais, si on s'en sert comme on ne doit pas, quel miracle !