"
Tueur de monde", c'est le plus petit livre de
Moebius, mais il se prend pour le plus grand. Préfacé par
George Lucas, présentant un cadre de space opera de taille respectable, avec l'habituelle dose de sense of wonder psychédélique, il est d'une courtesse extraordinaire, petit format avec une case par page. L'histoire en plus de ça s'amuse à traîner jusqu'à la rencontre avec le mystérieux champignon dont le nom signifie "Pénis en érection" (ce n'est pas une blague et vous allez comprendre pourquoi). Évidemment, le véritable intérêt de ce (minuscule) bouquin réside dans son interprétation.
Dans Edena, nous revoyions la métaphore du fruit de la Genèse dans une interprétation plutôt positive, étant donné qu'il donnait avant tout la connaissance du bien, recherchant une sexualité sans tabou éloignée de la société absurde des pif-pafs. Ici, c'est celle du mal. La sexualité, ici représentée par la virilité agressive du champignon qui a remplacé le pommier, symbolise les pulsions destructrices de l'homme, allant jusqu'à l'anéantissement ultime.
Un formidable raccourci pour montrer par ellipse l'escalade de la violence est dévoilée dans les dernières pages : de la perte de l'innocence du personnage qui goûte au champignon vénéneux à l'explosion nucléaire qui détruit lui et toute la planète à la fois. Seul côté positif : tout a été détruit, donc le Mal aussi : "Bar-Jona transformée en supernova, c'était la fin de l'ère du champignon géant."
Bien sûr, il s'agit d'une interprétation personnelle, un peu compliquée, mais qui me semble tenir debout. Et avouez que c'est tentant de penser ça : déjà, ça donne un sens à cette histoire sans queue ni tête, et cela voudrait dire que
Moebius, refusant une simple leçon de morale antimilitariste, aurait ainsi décidé d'user du symbolisme habituel à sa soft-SF pour délivrer son message. Qui plus est, comme je le disais en début de critique, c'est un one-shot extrêmement court : si vous ne vous sentez pas encore prêts pour les 350 pages de "L'Incal" et ses multiples spin-offs, mieux vaut commencer par lire ça.