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Critique de Moosbrugger


(Lu il y a 2 mois- Traduction d'Henri Mongault)

Le « poème » de Gogol est avant tout une sorte de comédie de caractères. Et Il faut bien dire que ceux-ci sont magnifiquement décrits ! Notre empire Russe du XIXème est en effet habité de personnages à la médiocrité pour le moins intemporelle. Pour donner un exemple significatif, tout à chacun connait aujourd'hui son Nozdriov :

« Certaines gens ont la rage de faire des vilenies à leur prochain, souvent sans aucune raison. Un monsieur haut gradé, des plus décoratifs, plaque à la poitrine, vous serre la main, vous tient des propos élevés, pour aussitôt vous faire en public une crasse, une crasse plus digne d'un gratte-papier que d'un monsieur portant plaque à la poitrine et tenant des propos élevés ; vous demeurez stupide et vous ne pouvez que hausser les épaules. Nozdriov avait lui aussi cette manie. Plus vous pénétriez dans son intimité, plus il vous jouait de vilains tours ; il répondait sur votre compte de stupides cancans, vous faisait manquer un mariage, une affaire, sans pour cela se croire votre ennemi. Bien au contraire, s'il vous rencontrait par la suite, il se montrait empressé, vous disait même : - Ah çà ! vielle canaille, pourquoi ne viens-tu jamais me voir ? »

De la même façon, chacun pourra également reconnaître son Pliouchkine :

« Pliouchkine avait déjà oublié le compte de ses richesses, mais se rappelait qu'à tel endroit du buffet, un carafon, contenant le reste de ratafia, portait une marque faite par lui pour empêcher ses gens de le vider subrepticement.»

Et bien entendu, tout ceci ne nous fera pas oublier ceux de nos contemporains qui partageraient des traits de caractère avec Tchitchikov lui même :

«On ne peut pas dire pourtant que le naturel de notre héros fût dur et sec, ses sentiments émoussés au point d'ignorer la pitié et la compassion. Il n'eût pas demandé mieux que de secourir son prochain, mais pour une somme minime, afin de ne pas entamer l'argent qu'il avait décidé de garder intact. En un mot, le précepte paternel : « Mets tes sous de côté » avait profité. Mais il n'aimait point l'argent pour l'argent ; la lésine, l'avarice lui étaient étrangères. Il rêvait d'une vie de cocagne où rien ne manquerait. Une maison bien montée, d'excellents diners, de beaux équipages : voilà ce qui lui trottait pas la tête. C'est afin de goûter un jour à tout cela qu'il économisait âprement, dur pour lui-même et pour les autres. »

Tchitchikov l'astucieux, Tchitchikov l'escroc, Tchitchikov le prudent profitera des copinages de l'administration, graissera les pattes nécessaires et montera les magouilles financières les plus alambiquées () pour s'assurer en toute liberté de conscience son coin de paradis à peu de frais.

Je ne suis pas en mesure de juger de l'authenticité de la traduction, mais je puis dire que le langage employé est sublime.

Touchons un mot sur l'auteur de ce texte majeur, à la personnalité quelque peu complexe et qui avait, comme tout à chacun, ses moments un peu bougons, voire maussades. Nicolas Vassiliévitch Gogol a cherché vers la fin de sa vie à rejoindre un idéal chrétien plutôt délirant, s'entichant de sectaires zélés, et se serait finalement, dit-on, laissé mourir. Au regard de sa biographie, on voit bien que ce n'était pas le genre à écrire avec désinvolture sur un coin de table, vite fait, bien fait, après un après-midi arrosé avec Pouchkine, son mentor, et encore, quand cela lui chantait. Non, celui-ci vivait des relations pour le moins conflictuelles avec ses écrits, se repentant sans cesse de les avoir publiés.

Ses « âmes mortes », ils les avaient aux trippes, et il était prêt à crever pour les achever. Les personnages de ce roman, il les a puisés dans sa propre personnalité, en partant à la recherche de ses mauvais côtés. Les parties deux et trois des âmes mortes devaient constituer une sorte de rédemption après l'expiation de tous ses démons dans la première.
Des morceaux de la deuxième partie sont d'ailleurs passés au four lors d'une nuit où notre auteur s'était couché de mauvais poêle. Il faudra donc se contenter de fragments publiés après sa mort, omis dans certaines éditions. Ceux-ci sont de la même qualité que la première partie, contrairement à ce qui semble dit un peu partout.

À la lecture, on imagine aisément quel peut être le poids de cet ouvrage dans la culture slave. Être tout à la fois Molière, La Rochefoucauld et Balzac et préparer la littérature russophone pour l'arrivé de Tourgueniev, Dostoïevski, TolstoïGogol se reprochait pourtant lourdement de ne pas assez bien connaître la grammaire Russe. Comme quoi, les puristes devisent, les génies écrivent …

Ce récit picaresque permet également de découvrir l'âme et les paysages de la Russie et d l'Ukraine d'antant et d'aujourd'hui.

Ah, et oui, le plus important : …c'est un roman de péqueneaud.

Le traducteur : Outre Gogol, Henri Mongault à traduit de nombreux auteurs modernes Russe : Tolstoï, Dostoïevski, Tourgueniev. La traduction date de 1925.
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