Citations sur Les Âmes mortes (189)
Il y a beaucoup de têtes dans le monde que la nature semble avoir formé à la hâte, sans effort, sans employer de ciseau, de lime, de vilebrequins ou autre instrument de ce genre. Pour Sobakievitch elle paraissait avoir taillé la matière à coups de hache; deux coups pour le nez, un pour les lèvres; une vrille avait percé les yeux et la nature satisfaite, sans rien fignoler, affiner, avait poussé ce cri : "Il vit".
Le lendemain fut consacré à des visites . Tchitchikof alla chez tous les hauts
dignitaires de la ville . Il se rendit tout d' abord chez le gouverneur qui, comme
lui , n' étais ni gros ni maigre et portait à son cou la croix de Sainte-Anne . Sa
bonté était proverbiale et tous dans la ville connaissaient son talent extraordi-
-naire de brodeur sur tulle .
On sait que dans le monde il y a un assez grand nombre de ces visages que la nature semble avoir formés dans de certains moments de somnolence ou d’humeur contre la société, sans se donner la peine de recourir à son bel outillage : fins ciseaux, limes cintrées, vilebrequins, etc., etc. Là elle sembla avoir procé-dé à tour de bras, la hache à la main ; deux coups ont fait le nez, un troisième la bouche, une tarière a percé les yeux… et, sans passer aucune espèce de rabot ni de doloire sur l’ensemble, elle a mis cela au monde pour que cela vive, et cela vit.
Celui-ci nie l'existence de dieu ; mais si le nez lui chatouille, il croit son dernier jour arrivé.
Les autres fonctionnaires étaient plus ou moins cultivés : l'un avait lu Karamzine, l'autre la gazette de Moscou, d'aucuns même n'avaient rien lu du tout.
La semaine dernière mon forgeron a brûlé,
un habile homme qui connaissait aussi la serrurerie !
— Auriez-vous eu un incendie ?
— Dieu préserve ! C’eût été pis ! Il a brûlé lui-même,
mon brave monsieur. C’était un ivrogne ; ses entrailles ont
pris feu ; il lui est sorti de la bouche une flamme bleue, et
son corps s’est consumé, a noirci comme du charbon...
Il soupa d'un cochon de lait, se déshabilla, se glissa sous la couverture et s'endormit aussitôt d'un profond sommeil, du merveilleux sommeil, apanage des heureux mortels qui ignorent les puces, les hémorroïdes et l'excès d'intelligence.
Aussi, quand au sortir des douces années de l'adolescence vous vous engagez dans l'âge mur, austère et dur, emportez avec vous comme viatique toutes les émotions humaines, ne les abandonnez pas sur la route, plus tard vous ne les retrouverez plus.
Non, l'homme vertueux n'a pas été choisi pour héros. On peut même en indiquer la raison. Parce qu'il est temps, enfin, de laisser reposer ce malheureux ; parce qu'on a à tout propos et hors propos ce mot à la bouche : un homme vertueux ; parce qu'on en a fait une monture qu'enfourche chaque écrivain, en brandissant son fouet et tout ce qui lui tombe sous la main ; parce qu'on a exténué l'homme vertueux, au point qu'il n'a plus maintenant l'ombre de vertu et qu'il ne lui reste que la peau et les os ; parce qu'on invoque hypocritement l'homme vertueux, sans avoir pour lui la moindre considération. Non, il est temps d'atteler à son tour le coquin.
Une autre voix, parfois, plus majestueuse, sans nul doute celle d'un supérieur, résonnait, impérieuse : "Tiens, recopie-moi çà, sinon, je confisque tes bottes et te mets six jours aux arrêts, sans boire, ni manger!".