Elle ne serait pleinement rassurée que lorsqu'elle serait près de lui, qu'elle pourrait le toucher, entendre sa voix. Alors, tout s'effacerait. Elle connaissait si bien ce regard qu'il avait pour elle, dans lequel elle lisait qu'elle était belle, et, pour lui, la seule, l'unique, ce regard qui l'enfermait dans le cercle enchanté de son amour. Il possédait au plus haut point ce don d'isolement et de séparation qui est l'apanage des hommes lorsque la joie de l'amour les envahit. Ce côté catégorique du caractère masculin avait parfois choqué Angélique, car femme elle était, et mêlait tout, sentiments, passion, inquiétudes et désirs, comme en ces grands fonds marins qui tourbillonnent à l'entrée des fleuves.
Pourquoi ne peut-on aimer selon les élans de son cœur, de son corps ? Pourquoi la qualité et la force d'un amour doivent-elles dépendre de la difficile sélection du choix ?... Comme si la dispersion des sentiments et du don condamnait à n'en jamais connaître la plus grande intensité. Était-ce là une vérité ou une illusion gardée de son éducation première et qui mettait la fidélité à l'époux en première place des obligations d'honneur pour une femme.
l est une chose reconnue car souventes fois observée que les démons succubes, c'est-à-dire féminins, s'incarnant dans un corps de femme, ont grande difficulté à voiler leur brillante intelligence durant leur séjour sur cette terre. Et c'est même à la prédominance de cette qualité – si peu courante chez les femmes mortelles – qu'on peut parfois les démasquer.
Il savait si bien la persuader que doutes, craintes, dangers s'arrêtaient au seuil d'une chambre d'amour, si bien l'entraîner dans un monde où ils étaient seuls, le cœur, le corps emplis de joie et d'émerveillement.
Tout est dit en nous dès le premier âge... On ne change que si l'on renie...
Anne Golon - La victoire d'Angélique (1985)