Avant toute réflexion sur la qualité littéraire de ce livre, il faut souligner son caractère important et osé de raconter une réalité cachée à la plupart des français·es. Par son témoignage cru,
Julien Goudichaud montre comment les États occidentaux refusent d'accueillir des gens condamnés à la mort, à la torture, à la vie dans un pays en guerre et les poussent à mener une vie misérable et tout aussi dangereuse sur leur territoire.
De même, avant toute réflexion sur la manière dont l'histoire est racontée, il me semble raisonnable de louer le travail de l'auteur qui a lui-même visiblement enduré des souffrances psychologiques et physiques pendant 7 années où il a suivi de manière très proches ces migrant·es désespéré·es. Ainsi, que l'on soit d'accord ou non avec l'approche choisie, les raisons, les actes de l'auteur dans un tel récit, n'oublions pas que
Julien Goudichaud est un citoyen français qui pourrait mener une vie de M. Tout le monde, mais qu'il a fait le choix de s'immerger dans ce quotidien inhumain et même de tenter une traversée au péril de sa vie. C'est également l'occasion de rendre hommage aux personnes rencontrées dans le livre et aux personnes qui ne sont pas citées mais qui aident quotidiennement les migrant·es, à Calais ou bien ailleurs, souvent contre la loi ou contre l'opinion majoritaire. Et surtout de rendre hommage aux migrant·es qui vivent à Calais, tentent la traversée de la Manche et trop souvent meurent noyés.
Cela étant dit, et c'est important pour prendre le recul nécessaire, intéressons-nous au livre en lui-même.
Julien Goudichaud dit avoir écrit un livre qui s'adresse à tous les publics, y compris celles et ceux qui ne seraient pas sensibilisé·es aux questions migratoires en France. Sur ce point là, c'est très réussi : pas de termes techniques, un style très agréable à lire (en même temps, difficile d'élaborer sur des évènements aussi graves que la détresse de migrant·es) et des témoignages qui laissent la parole aux migrant·es. Il expose les dessous du système des "passeurs", l'organisation et la destruction de la "jungle" de Calais (dont l'origine syntaxique est expliquée dans le livre), les différentes manières de s'organiser des migrants. On plonge ainsi réellement au coeur de ces êtres humains à qui on refuse tout et, à mon avis, c'est nécessaire (mais jamais suffisant) pour tenter d'appréhender un peu la réalité du problème sans être assomé par la réthorique sécuritaire et technocratique des États occidentaux qui réduisent ces personnes à des chiffres.
Ce qui frappe dans ce livre, c'est réellement d'avoir un aperçu de ces personnes invisibilisées au quotidien. En ville, passer devant un camp sauvage de migrant·es est devenu un acte quotidien mais on les ignore, on en fait presque un phénomène banal. Ce livre fait partie de ces oeuvres qui font ouvrir les yeux sur les conséquences de notre système, de la même manière que le documentaire Pour Sama nous plonge au coeur de civils ayant fait le choix de rester pendant la guerre en Syrie.
J'avoue avoir parfois eu du mal avec la manière dont
Julien Goudichaud expose ses souffrances alors que celles-ci semblent ridicules par rapport à des migrant·es qui ont traversé le désert, les prisons libyennes et la Méditerrannée (comme il le raconte lui-même). de la même manière, son obsession parfois maladive de réaliser sa traversée et les moyens qu'il met en oeuvre alors qu'il est lui-même français pourraient constituer une forme de violence envers les migrants. Mais qui suis-je pour juger des motivations et des actions de l'auteur. Qui sait quelle force il faut pour passer 7 ans à vivre avec des migrant·es alors qu'on est soi-même occidental, qu'on peut rentrer chez soi le soir ? Je me rends compte que je ne devrais peut-être pas tomber dans ce piège de comparer les souffrances, car d'un point de vue occidental,
Julien Goudichaud a probablement sacrifié beaucoup plus que la plupart d'entre nous pour écrire ce livre et a surtout contribué énormément, je l'espère, à montrer la vérité sur la manière dont on traite les migrant·es et sensibiliser les gens.
Merci pour votre livre et votre courage.