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Professeur d'anthropologie à la London School of Economics, militant anarchiste américain - il a été un des théoriciens du mouvement Occupy Wall Street -, et auteur d'un essai monumental sur la dette, Dette : 5000 ans d'histoire, David Graeber revient avec Bureaucratie.

Bureaucratie est la traduction du livre The Utopia of Rules: On Technology, Stupidity, and the Secret Joys of Bureaucracy.

On imagine sans mal que l'éditeur et le traducteur ont considéré que, pour le marché français, il serait plus vendeur de mettre l'accent sur la bureaucratie que les autres thèmes développés dans le livre. Pour renforcer cette décision, la citation suivante a été placée en première de couverture : « Il faut mille fois plus de paperasse pour entretenir une économie de marché libre que la monarchie absolue de Louis XIV ». Avec ce titre et cette citation, le lecteur français devrait être certainement plus attiré que par le nom de l'auteur, Graeber - comme il le raconte, son nom est parfois orthographié « Grueber », qui se rapproche du nom du terroriste dans Die Hard.

Le livre se compose d'une introduction - La loi d'airain du libéralisme et l'ère de la bureaucratisation totale -, de trois chapitres - Zones blanches de l'imagination. Essai sur la stupidité structurelle, Des voitures volantes et de la baisse du taux de profit, et L'utopie des règles, ou pourquoi nous adorons la bureaucratie, au fond - et d'un appendice - de Batman et du problème du pouvoir constituant. Pour l'essentiel, il s'agit de textes déjà paru sous des formes différentes - seule l'introduction et le chapitre L'utopie des règles, ou pourquoi nous adorons la bureaucratie, au fond sont des nouveautés - et qui, peu ou prou, traitent tous de la bureaucratie.

L'introduction traite de la loi d'airain du libéralisme - « Toute réforme de marché - toute initiative gouvernementale conçue pour réduire les pesanteurs administratives et promouvoir les forces du marché - aura pour effet ultime d'accroître le nombre total de réglementations, le volume total de paperasse et l'effectif total des agents de l'État » - et de l'absence d'une critique de gauche de la bureaucratie. le premier chapitre traite de ce que Graeber qualifie de stupidité structurelle, de violence structurelle. le chapitre 2 développe l'idée que le capitalisme néolibéral ne produit plus que des gadgets technologiques au lieu de grandes innovations. le chapitre 3 traite d'une espèce de paradoxe, un « attrait caché » : à savoir pour quelles raisons les individus, alors qu'ils s'en plaignent, adorent finalement la bureaucratie. L'appendice revient sur The Dark Knight Rises, le dernier film de la trilogie de Christopher Nolan consacré à Batman, perçu par les manifestants d'Occupy Wall Street, y compris Graeber, comme une propagande anti-Occupy.

J'ai apprécié l'ensemble du livre avec une préférence pour le chapitre 2 - Des voitures volantes et de la baisse du taux de profita été intéressant pour moi - et le chapitre 3 - L'utopie des règles, ou pourquoi nous adorons la bureaucratie, au fond.

Dans le chapitre 2, David Graeber développe la thèse que le capitalisme néolibéral ne produit donc plus de grandes innovations et surtout des technologies bureaucratiques - « En même temps, dans les rares domaines la créativité libre et imaginative est vraiment stimulée, comme le développement de logiciels ne source ouverte sur Internet, elle est canalisée, au bout de compte, vers la création de plateformes encore plus nombreuses et efficaces pour remplir des formulaires » - au détriment de technologies poétiques - « l'utilisation de moyens rationnels, techniques, bureaucratiques, pour donner vie à des rêves impossibles et fous » comme les voitures volantes. Cette idée rejoint le point de vue de l'auteur de science-fiction Neal Stephenson. Stephenson déplore en effet la « mort de l'innovation » (innovation starvation)* : afin de lutter contre cette « mort de l'innovation », Stephenson a lancé le projet Hieroglyph**. Cette thèse rejoint également, et de façon étonnante, le manifeste d'un fond de pension déplorant que « Nous avions rêvé de voiture volantes et nous avons eu 140 caractères ».

Dans le chapitre 3, David Graeber traite de la question de l'utopie des règles en utilisant pour sa démonstration la fantasy*** et les jeux de rôles - en l'occurrence D&D****. L'utilisation de ces deux domaines-là pour rendre compte de l'utopie des règles rend ce chapitre-là passionnant. Avant, je lisais simplement de la fantasy ou jouais à des jeux de rôles ; désormais, je m'intéresserai à l'utopie des règles et à mon rapport à la bureaucratie lors de la pratique de ces deux activités ludiques.

Comparativement à d'autres des livres de Graeber - par exemple, Des fins du capitalisme : Possibilités I -, Bureaucratie est (globalement) accessible au lecteur. Il est d'autant plus accessible que, pour assoir sa démonstration, David Graeber puise les exemples dans ses expériences personnelles - il raconte ses difficultés avec la bureaucratie lorsque sa mère est tombée malade ou lorsqu'il a essayé d'ouvrir un compte à Londres - et professionnelles - il utilise par exemple certains des études anthropologiques qu'il a faites à Madagascar - et également dans les oeuvres de fiction - évidemment Batman, mais aussi Star Trek, James Bond vs. Sherlock Holmes, Harry Potter, le Procès, ou les jeux de rôles D&D et World of Warcraft. Les réflexions et démonstrations de Graeber sont brillantes - certes, il est possible de ne pas les partager mais l'auteur ne cache ni ses idées, ni son engament. Les nombreux détours de production par la fiction et autres exemples concrets d'interaction avec la bureaucratie rendent la lecture agréable et fluide.

A la fin de l'introduction, David Graeber écrit : « Si ce livre contribue, même modestement à ouvrir une conversation de ce genre, il aura vraiment apporté quelque chose à la vie politique contemporaine » : on ne peut que souhaiter, pour le livre et surtout pour nous, qu'il ouvre de nombreuses conversations de ce genre.

* http://www.worldpolicy.org/journal/fall2011/innovation-starvation
** http://hieroglyph.asu.edu/
*** Que le traducteur a décidé de traduire par fantaisie.
**** Dungeons and Dragons.

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Le renversement du socialisme bureaucratique n'a pas abouti au triomphe du marché et de la liberté mais à l'emprise d'une bureaucratie publique et privée étroitement imbriquée. David Graeber formule la « loi d'airain du capitalisme » qu'il propose ensuite d'analyser : « Toute réforme du marché – tout initiative gouvernementale conçue pour réduire les pesanteurs administratives et promouvoir les forces du marché – aura pour effet d'accroître le nombre total de réglementations, le volume total de paperasse et l'effectif total des agents de l'État. »

Ne surtout pas s'arrêter au titre ce cet ouvrage dont le propos est bien plus large qu'il n'y parait. Au-delà de cette bureaucratie, il est question de la violence intrinsèque de l'État pour se faire obéir, ce dont nous avons la démonstration chaque jour.

Article complet en suivant le lien :
Lien : https://bibliothequefahrenhe..
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Il y a un an jour pour jour (le 2 septembre 2020) David Graeber mourait à Venise. Son livre le plus célèbre restera Bullshit jobs (jobs à la con), le dernier paru en français à ce jour.

David Graeber, anthropologue, analysait avec un point de vue très original la société capitaliste et ultra-libérale occidentale et surtout étasunienne d'un point de vue très original, étant lui-même anarchiste assumé.

Dans Bureaucratie, il démontre que la bureaucratie n'est pas le privilège exclusif des états totalitaires socialistes, mais n'a jamais été aussi présente que dans les Etats-Unis du début du XXIème siècle, ainsi que dans les grandes entreprises privées, notamment les multinationales.

Le troisième essai est consacré à une analyse des films de super-héros (Batman, Superman, ...) et ce qu'ils nous apprennent sur la société actuelle.
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L'approche de David Graeber est originale parce qu'au lieu de nous asséner des démonstrations ils nous donne à réfléchir par des métaphores et des exemples historiques.
On sort de ce livre avec le sentiment kafkaien que l'on est tous pris dans une nasse de procédures, de règles inextricables pour le commun des mortels, contre laquelle il est impossible de lutter. Parfois au service de l'élite, mais parfois complètement autonome au point de se retourner contre elle comme dans la Russie tzariste, la bureaucratie permet aux puissants d'imposer sa loi aux petits, qui n'ont pas les moyens de la respecter, encore moins de lutter contre.
La bureaucratie (à l'échelle d'une entreprise, d'une administration, ou d'un pays) est impossible à réformer de l'intérieur, parce que n'importe quelle tentative entamera à peine le système qui cicatrisera rapidement pour reprendre sa forme initiale. Les seules possibilités sont des destructions massives, par des guerres (14-18) et des révolutions (1917 en Russie, 1789 en france) mais les bureaucraties renaissent sous d'autres formes rapidement.
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Ce n'est pas un sujet qui m'attirais, je ne m'attendais à rien, mais Graeber m'a fait passer un bon moment.

Ce livre remet certaines idées préconçues à l'endroit, montre que les bureaucraties sont des objets organiques vivants pour leur propre existence, (de véritables égrégores puissants de la dévotion de ses travailleurs...)

Le dernier chapitre est un peu hors-sujet, mais pas inintéressant, sur "Batman 3" contre "Occupy Wall Street," sur la morale des films de super-héros défendant le capitalisme contre les vilains anarchistes.
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C'est un ouvrage dont l'une de mes profs avait parlé l'an dernier et qui me semblait intéressant que ce soit dans le cadre de mon cursus ou pour ma “culture personnelle”. David Graeber est un sociologue américain, membre du mouvement anarchiste et du mouvement Occupy Wall Street. Dans cet essai, il entend démontrer que la bureaucratie est un outil du néo-libéralisme pour diminuer le pouvoir de l'Etat et augmenter les profits de quelques-uns [du moins, c'est comme cela que j'ai compris son propos].

Cet ouvrage se compose de quatre grands articles qui traitent de cette question. Pour égayer son propos, il s'inspire d'exemples de la pop-culture et nous propose même toute une analogie avec les mondes proposés dans la fantasy. Néanmoins, Bureaucratie reste très opaque pour qui n'est pas habitué à lire des essais sur l'économie ou la sociologie. L'auteur a tendance à perdre son lecteur au moyen de phrases à rallonge et d'enchaînements de digressions qui m'ont souvent fait piquer du nez.

Ça n'en reste pas moins un ouvrage intéressant qui attire notre attention sur l'omniprésence de la bureaucratie dans notre quotidien et la violence qu'elle peut engendrer.
Lien : https://www.maghily.be/2017/..
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Premier livre que je lis sur cet auteur controversé. Il faut avoir quelques notions de management et d'économie pour apprécier et suivre l'auteur. Il y a de très bonnes idées mais elles sont noyées dans des extrapolations pas toujours pertinentes (descriptif des héros modernes...).
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Au contraire de "Dette 5000 ans d'histoire", cet ouvrage ne présente pas une exploration historique fouillée de son sujet. Il s'agit en effet d'une collection de trois essais - on pourrait même dire cinq en comptant l'introduction et l'article présenté en annexe - assez variés sur le fond, mais tout aussi toniques les uns que les autres. le but est moins de faire le tour du sujet que de poser quelques jalons et pistes de réflexion pour alimenter une critique de gauche de la bureaucratie.
Et l'on est servi ! Cela va, dans le désordre, du poids des contraintes administratives et de l'évaluation sur la recherche scientifique à des considérations sur la littérature fantasy et le jeu de rôle - qui se serait attendu à voir convoqué Aragorn ou Harry Potter dans un essai au thème aussi grisâtre ?-, en passant par l'invention de la poste, les liens entre Star Trek et le communisme, les paradoxes des politiques de dérégulation néolibérales, le rôle des policiers (ces "bureaucrates armés") ou encore l'emploi du français comme langue d'autorité par les fonctionnaires malgaches, etc. le style est fluide, entraînant même, et les exemples jamais gratuits, toujours vivifiants. Un excellent livre, sympathique et débordant de réflexions stimulantes à l'image de son auteur qu'on a pu croiser, notamment, dans la fresque documentaire "Capitalisme" diffusée par Arte il y a quelques années.
Et si le sujet de cet ouvrage vous rebute, que vous détestez être baladé d'un service à un autre, passer votre temps à remplir des formulaires... bref, vous trouver d'une quelconque façon happé par les rouages de l'administration (publique ou privée), alors ce livre est d'autant plus pour vous que loin d'être un concentré de récriminations ronchonnes, il permet aussi d'ouvrir les yeux sur les charmes discrets, insidieux, de la bureaucratie, ceux-là mêmes qui permettent d'expliquer son triomphe et son règne.
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