Imbécile que j’étais, imbécile profond et chronique, à ce point imbécile que je me rendais pas compte, j’étais à deux doigts du précipice, mais on est aveugle à ces choses-là, ce n’est qu’après coup, quand le malheur a déjà percuté, que l’on se dit que l’on aimerait bien revenir à cet état d’ignorance première, quand l’imbécillité nous rendait la vie plus gaie et le malheur n’existait pas. Insouciante imbécillité.
Dans la vie on a tous un joker. Certains ont une Robert & Sons, et ils ne sont pas à plaindre croyez-moi, d’autres ont du talent pour le rangement, moi j’avais Françoise que j’aimais sérieusement, par concupiscence. C’est que les formes de Françoise étaient un défi à la géométrie d’Euclide, c’étaient des proportions qui auraient rendu jaloux un nombre d’or, demandez à Marko si j’embellis. J’admets certes qu’elle a un peu vieilli, le cou notamment s’est ridé en crevasses, le mollet s’est durci et fait saillie ce qui n’est pas forcément esthétique, que voulez-vous le temps est l’ennemi des pin-up comme il est l’ennemi du rangement, les femmes et les papiers jaunissent au soleil, il y a rien à faire, la mémoire est notre seul moyen de faire face, dans ma mémoire elle restera pour la nuit des temps ma caille du premier jour.
Dieu soit loué ! Il est vrai que le rangement est un plaisir avant d’être une contrainte. Mais hélas ! même les choses que l’on fait avec entrain peuvent être mal faites. L’amour que vous mettez dans le rangement ne vous garantit pas l’immunité même s’il diminue les risques de catastrophe. De nos jours, l’amour seul ne suffit plus, il faut un état d’esprit multiforme, mélange de passion et de rigueur, et j’ajouterai : d’humilité, c’est le seul moyen de combattre la routine.
... je suis en position de réclamer haut et fort que le destin me lâche la grappe, qu’il m’oublie un peu le destin, qu’il vaque à ses occupations le destin, il y a bien d’autres humains à torturer de par le monde, j’ai eu ma dose, ça suffit j’en peux plus.