Des clics et quelques claques.
Svetlana et Helena sont deux âmes russes en peine, en panne d'âme soeur et en panne des sens. Elles tartinent les réseaux sociaux de miel et de fiel. Elles y exhibent deux vies quotidiennes dont le nuancier tend moins vers le rose que le morose. Elles y dissertent sur la guerre en Ukraine comme elles en parleraient au bistrot. Pas de censure hors les murs.
Elles y cherchent aussi de façon pathétique un bonhomme de seconde ou troisième main pour rendre plus supportable leur solitude et payer le loyer. Ce qu'elles ignorent, c'est qu'un écrivain français d'origine russe incontrôlée, le taquin voyeuriste
Iegor Gran, s'est mis à les suivre sur Twitter pour écouter et rapporter la parole des Missis Toulemonde de la Russie de province.
Ces femmes, jolies blondes quadras, vivent toutes les deux dans de petits appartements, à des années lumières et d'ombre de Moscou.
Héléna est contrôleuse de ticket de tramway à Perm, une ville peu touristique de l'Oural. Elle est plutôt avenante, soucieuse des autres et laisse monter les plus fragiles sans payer : l'inverse d'un contrôleur SNCF. Elle aime son métier malgré son salaire plus trouble que rouble, et surtout, elle ne cache pas son opposition à la guerre. Elle est atterrée du soutien massif de ses compatriotes à Poutine.
Svetlana occupe un emploi qu'elle n'aime pas d'assistante dans une école maternelle à Nijni Novgorod, dans la partie centrale de la Russie, le l
ong de la Volga. C'est une nationaliste pur jus, infusée de propagande et nostalgique d'une grande Russie qu'elle n'a connu que dans ses rêves et vu dans des films officiels dopés de patriotisme. Elle a l'aigreur va-t'en-guerre, l'occident oxydant et l'ukrainien endocrinien. Plus influencée qu'influenceuse, elle relaye sans vergogne le discours officiel sur X, feu Twitter à ses 1500 followers, suiveurs, voyeurs…
Après
Z comme Zombie, dans lequel
Iegor Gran décrivait déjà le soutien aveugle d'une population hypnotisée à l'invasion de l'Ukraine, l'écrivain s'éloigne de Moscou pour tendre son micro à des pipelettes locales du web.
Les romans d'
Iegor Gran sont plus réussis que ses témoignages sur le Covid ou la Russie. Ses révoltes y musèlent trop son humour. Néanmoins, ce «
Voyage clandestin avec deux femmes bavardes » apporte un regard différent et intéressant qui m'a rappelé l'ancienne émission « Strip-tease » qui abordait des sujets de société par le biais de la vie de tous les jours d'inconnus sans filtre.
Héroïnes d'une vie qu'elles mettent en scène, le lecteur oscille entre espoir avec Héléna et désespoir avec Svetlana, entre le touchant et le risible, entre le révoltant et le pitoyable. Les deux femmes ne se connaissent pas et ne se croiseront certainement jamais. Elles n'auraient rien à se dire. Les chapitres restent étanches.
L'auteur développe beaucoup d'empathie pour Héléna, soucieuse des autres, lucide sur l'état de son pays et attachée à sa liberté de penser.
A l'inverse,
Iegor Gran parvient à ne pas ridiculiser ou enfoncer Svetlana même si la tentation est parfois grande tant cette femme affiche fièrement sa vulgarité et ses outrances. La clique du cloaque.