Citations sur Et que ne durent que les moments doux (539)
On dit qu'il est impossible de prendre la douleur des autres. C'est vrai. Ce serait formidable, si on pouvait la confier momentanément à quelqu'un, le temps de reprendre son souffle, ou la partager pour en distribuer des petits bouts autour de soi.
C’est pratique, la colère, pour camoufler la tristesse ou la peur, pour ensevelir la culpabilité ou la honte. C’est l’émotion joker, qui prend la place de celles qui nous encombrent et nous permet de mieux encaisser, tout en nous transformant en parfaits tyrans.
Pour la plupart des gens, avoir un enfant est naturel. On décide de devenir parents, se passent un mois, deux, quatre, six, on danse devant un trait bleu sur un bâtonnet, on annonce la nouvelle à ses proches, on enchaîne les échographies, on donne naissance à un petit être, trois kilos deux, cinquante centimètres, on se découvre un coeur élastique, on connaît une première nuit blanche, on le mitraille de photos et on rentre à la maison, avec un membre de plus dans la famille. Pourtant, certains ont douloureusement appris qu’avoir un enfant n’était pas une formalité. Ceux qui espèrent pendant des mois. Des années. Ceux qui ont arrêté d’espérer. Celles qui subissent des traitements. Les piqûres. Les prises de sang. Les prélèvements. Ceux qui recueillent leur semence dans une pièce blanche. Ceux qui ont mal en croisant des ventres ronds. Ceux qui voient le regard de l’échographiste changer. Ceux qui reçoivent le ciel sur la tête. Son coeur a cessé de battre. Son coeur ne bat pas normalement. Votre coeur ne battra plus jamais comme avant. Ceux qui doivent prendre une décision. Ceux qui n’ont pas à la prendre. Ceux qui sortiront de la maternité les bras vides. Ceux qui ne verront jamais ses yeux s’ouvrir. Ceux qui donneront naissance au silence. Ceux qui verront les sages-femmes s’affoler. Ceux dont le bébé sera emmené. Ceux qui entendront l’inaudible. Problème. Malformation. Handicap. Attendre. Ceux dont l’existence sera reliée à des machines. Ceux qui auront des photos de tuyaux. Ceux qui pousseront la porte de la réanimation.
"Nous sommes tous les mêmes, sur la ligne de départ, c'est en route que nous différons. Les uns seront chaussés de souliers confortables, les autres seront ralentis par un sac à dos déjà trop lourd. Les uns auront un vent de bienveillance dans le dos, les autres seront pris dans des bourrasques de violence. Les uns sont nés sous une bonne étoile, les autres sont nés, tout court."
Un jour, tu n'attendras plus des autres qu'ils te rendent heureuse. Tu te feras ce cadeau toute seule.
Tout au long de la grossesse, j'ai pratiqué la pensée positive pour faire plier l'angoisse : tu naîtrais un jour de soleil radieux, les contractions se contenteraient de me chatouiller, la sage-femme se déplacerait en dansant, ton papa me déclamerait son amour, il ne ferait ni chaud ni froid, la radio diffuserait Radiohead, je pousserais deux ou trois fois dans le pire des cas, dans le meilleur je n'aurais qu'à éternuer, tu arriverais en pleine forme, on te poserait sur moi, tu accrocherais ton regard au mien, des larmes dévaleraient mes joues sans déformer mon visage, ton père nous embrasserait, et voilà, on serait une famille.
Ce n'était pas censé se passer comme ça.
Tu n'étais pas censée naître avant d'être prête.
Je n'étais pas censée être mère avant de le devenir.
Les livres sont le meilleur moyen de s’envoler vers d’autres vies, quand la sienne est trop lourde.
La maternité a réparé en moi ce que l'enfance avait abîmé.
"La seconde chose, c'est qu'on peut se réparer de tout. Toutes les pièces ne seront pas forcément à la bonne place, certaines seront manquantes, mais on se reconstruit. Cela demande du temps, c'est un petit pas en avant pour trois grands sauts en arrière, mais l'humain est ainsi fait. C'est aussi tragique que sublime."
Elle m'a remerciée, puis elle est sortie. Mon regard s'est posé sur vous, ton père et toi, l'un contre l'autre, torse contre torse, et, pour changer, j'ai pleuré.