Ce livre (j'ai lu l'édition du Livre de poche) m'a été donné par l'un des membres de mon club de lecture quand il a su que j'étais passionnée par la Seconde guerre mondiale en général, et la Shoah en particulier. Je l'en remercie, car sans lui, je n'aurais pas découvert ce roman biographique retraçant la vie de Josef Mengele, l'ancien médecin tortionnaire du camp d'extermination d'Auschwitz-Birkenau, exilé volontaire en Amérique du Sud pour échapper en 1949 aux juges du tribunal de Nuremberg.
Bien sûr, je savais qu'il avait été en cavale en Argentine mais je n'avais pas connaissance des détails.
Olivier Guez, journaliste de son état, a mené un important travail de recherches documentaires et bibliographiques qui permet d'éclairer vraiment les circonstances de son évasion, les soutiens (nombreux) dont il a bénéficié, ainsi que les circonstances de sa mort.
Il s'attache à décrire l'homme (je pense qu'il a eu accès à des éléments biographiques ou des mémoires lui permettant d'être aussi précis), sa vie de famille (1re femme et seconde femme), sa vie professionnelle, ses nombreux habitats et déplacements. Il souligne certains aspects de sa personnalité et montre que même au seuil de sa vie, il n'était pas question de contrition ni de repentance car, lorsque son fils plutôt à gauche politiquement et en rejet du personnage "Josef Mengele, ange de la mort d'Auschwitz" (un nom de famille dur à porter !) lui demandera de lui rendre des comptes, il niera avoir fait ce qu'il a fait.
Loin de m'émouvoir sur le vécu de ce tortionnaire et sur sa pathétique descente aux enfers et fin, ce qui m'a profondément touchée, c'est d'apprendre que des milliers de nazis (Allemands, Italiens, Espagnols, etc.) ont, comme lui, pu bénéficier d'un réseau d'exfiltration particulièrement efficace et d'une somme de complicités, y compris de la part de certains gouvernements corrompus d'Amérique du Sud et d'ailleurs (et ce, avec la bénédiction des Etats-Unis tout occupés à s'intéresser plutôt aux Russes) leur permettant de vivre très correctement, au su et au vu de tout le monde, voire même de s'enrichir en créant localement des entreprises de portée internationale avec lesquelles les pays européens (mais aussi US) avaient des intérêts et des relations.
Et ce, en plus, en vivant dans le culte d'Hitler et la nostalgie du IIIe Reich (ils avaient leurs cercles, leur presse, leur filière de financement)... Et ce ne sont pas quelques personnes... Ils ont été des milliers, tant en Argentine, qu'au Paraguay, Uruguay on encore au Brésil.
J'ai été outrée d'apprendre, alors même qu'il était apparemment recherché par le Mossad, par de nombreuses polices ou structures type "chasseurs de nazis", qu'il a pu se rendre en Europe à plusieurs reprises et y circuler, moyennant quelques précautions, comme un citoyen lambda.
J'ai été outrée d'apprendre le rôle laxiste des dirigeants allemands d'après-guerre, tant en direction des anciens nazis exilés qu'en direction des grands dirigeants d'entreprises qui se sont enrichis sur le dos des déportés. Eux non plus n'ont jamais été inquiétés.
J'ai été outrée d'apprendre le rôle ambigu des Etats-Unis qui a contribué à accueillir sur son sol des milliers de nazis et à les réinsérer professionnellement et socialement sous de fausses identités.
Ainsi donc, et ce livre me le confirme une nouvelle fois, dès lors qu'il y a des intérêts financiers en jeu ou des intérêts d'influence, le sort des minorités importe peu. Seuls la caste des puissants et l'argent comptent. La page de la Shoah a été tournée d'une façon étonnamment rapide et il faudra attendre la fin des années 1980 et le début 1990 pour faire connaître ce pan de l'Histoire et reconnaître les manquements des uns et des autres.
Ce qui me préoccupe le plus, c'est de savoir que ces nazis cachés sous de fausses identités, installés dans leurs chaussons, n'ont pas manqué de faire des enfants et de les élever en accord avec les thèses développées dans Mein Kampf. Ces enfants ont eux-mêmes fait de nombreux enfants et ont sans doute suivi les mêmes préceptes. Je suis vraiment horrifiée a posteriori et m'interroge sur l'appétence des générations qui ont suivi pour la résurgence d'un potentiel 4e Reich (on voit bien, tant aux Etats-Unis que dans les pays d'Amérique du Sud, combien les thèses de l'extrême-droite y ont trouvé un vrai ancrage et tendent à se développer dans une quasi normalité).
Donc, si vous vous intéressez à ces sujets, je ne peux que vous inviter à lire le livre d'
Olivier Guez qui se suit très bien, à la fois comme le récit d'une traque (c'est malgré sa suffisance et ses soutiens, dans les faits, un homme aux abois) et comme un "roman", à la différence près que Josef Mengele n'est, hélas, pas un personnage de roman : il a bien existé et il a été responsable à Auschwitz, des exactions les plus atroces, sous couvert d'une pseudo science basée sur l'exigence de la pureté raciale et l'élimination des populations dites "les plus faibles" ou "dégénérées".
Alors que je communiquais sur cette lecture sur une page FB, un internaute m'a signalé l'existence d'une série télé (pour l'instant 2 saisons) sur Prime Amazon HUNTERS qui évoque la traque des nazis par un groupe de "chasseurs" sur le sol américain et dans d'autres pays. C'est bien sûr une fiction (néanmoins, les personnages à la fois nazis poursuivis et Juifs témoins ont existé), mais elle s'appuie sur un fait réel : l'opération Paperclip, nom de code de l'opération secrète qui a permis de faire entrer aux Etats-Unis près de 1.500 nazis. On y voit notamment la façon dont ceux-ci sont infiltrés dans l'ensemble de l'appareil d'Etat. Cela fait froid dans le dos.
Je vous la recommande.