J'ai peut-être fait la connaissance, aujourd'hui, de la chambre dans laquelle je vais mourir. Je ne l'aime pas encore.
Page 9 :
Autrefois on me disait : ''Vous avez de jolis yeux'', ou : ''Tu as de belles lèvres''; maintenant des infirmiers me disent : ''Vous avez de belles veines''. Le médecin, la jeune femme à l'accent étranger, qui a fait l'échographie abdominale dit à son assistant debout et penché derrière elle devant l'écran : "Regarde là comme c'est beau !''
Et à moi : ''Vous avez une configuration à l'intérieur qui est tout à fait exceptionnelle et très rare.
Nous allons aussi prendre des clichés pour nous.''
« Mais qu'est-ce que vous en faites, de tous ces
thermomètres qu'on vous laisse ? », me demande
le beau grand gaillard au minuscule brillant à
l'oreille. « Je les mange. » Il me dit : « Alors vous,
c'est le mercure, votre truc ? »
…
Un tout petit peu amoureux du garçon aux
thermomètres. C'est agréable. Il est gai.
p.87
L'autre matin, un brancardier qui vient
m'emmener en ophtalmo alors que je n'ai pas
besoin de lui puisque je peux marcher seul est
excessivement irrité par mon chapeau bleu, il
veut me le faire retirer, il dit : « Vous n'avez pas
besoin de ça pour aller en ophtalmo.» Je lui dit :
« Qu'est-ce qu'il a bien pu vous faire, mon cha-
peau ? » Il rechigne toujours. J'arrive à le calmer
en lui donnant la fausse clé de l'énigme : « Je
caille du crâne. »
p.86
Ce journal, qui devrait durer quinze jours, peut s'arrêter d'un jour à l'autre, pour cause de découragement absolu.
Ecrire dans le noir?
Ecrire jusqu'au bout?
En finir pour ne pas arriver à la peur de la mort?
Tout est sublime dans ce corps: sa puissance et sa finesse, l'attache de ses bras à ses épaules... Quand je retrouve une émotion érotique, c'est un peu de vie que je retrouve dans ce bain de mort.
La blouse bleue transparente n'avait aucune fonction, que l'humiliation.
C'est difficile d'avoir de l'humour en position couchée, ça semble affecté, question de souffle.
L'"odeur" de Chirac, les "charters" de Cresson, l'"invasion" de Giscard: indépendamment de mon état, plus jamais je ne voterai de ma vie.