Citations sur Brouillards (39)
Le calme étrange m'apaise et m'inquiète en même temps. C'est le pouvoir ambigu des lieux de vie quand ils sont vides.
Si on sait reconnaître un mensonge, on a toujours un doute quant à la vérité. On ment, sans ambages, avec aplomb, alors qu'il n'existe pas de verbe pour exprimer l'action liée à la vérité, on se contente de «dire» la vérité. C'est bien la preuve qu'elle est impossible à affirmer.
Je marque une pause, interrompu par une sirène de police qui ne craint plus de hurler dans la ville débrumée. La voiture aux gyrophares déchaînés nous frôle à vive allure, j’imagine son passager en uniforme jurant parce que son demi-litre de café lavasse s’est renversé sur son donut à l’huile rance. Voilà le genre de jaillissements de culture américaine, résultat de décennies de séries hollywoodiennes dans le poste.
_ J'ai ordre de vous ramener, Hugo.
_ C'est pas vous le chef ?
_ L'ordre vient de beaucoup plus haut.
Il lève les yeux vers le plafond, dans un réflexe absurde d'illustration de son propos imagé. Alors Félix, qui a assisté à notre échange énigmatique, intervient pour poser une question pleine de bon sens.
_ C'est un ordre de D... D... Dieu ?
Et le colonel lui répond sans se départir de son sérieux.
_ Malheureusement, jeune home, il y a du monde entre Dieu et moi.
Au fond, ce qui m'effraie le plus dans le meurtre, c'est l'humanité de l'assassin, le fait qu'il ne soit pas moins médiocre qu'un autre, qu'il soit un lambda parmi les lambdas.
Marcel Marchand avait peu à peu tissé avec brio sa toile invisible dans laquelle de nombreux agents de la CIA s’étaient retrouvés prisonniers sans le savoir. Une fois repérés les immeubles souvent visités, les cafés fréquentés, les restaurants, les théâtres, les cinémas, les lieux publics où ces agents se pensaient discrets, Mama avait fait bénéficier la France et l’Europe de son talent spectaculaire de physionomiste d’exception.
C’est ainsi qu’après huit années passées sur le sol américain, il connaissait le visage d’un nombre impressionnant de recrues des services secrets auxquelles il avait associé un parcours, un CV, une identité avec l’aide des informaticiens de la DGSE.
Il sortit du sac calé entre ses pieds un ordinateur qui ne contenait rien d’autre que d’inoffensifs dossiers en lien avec son travail à l’ONU, il le déplia sur sa table et demanda d’une voix exagérément forte à un voisin à lunettes et casquette, quintessence du travailleur nomade new-yorkais toujours à l’affût d’un projet de start-up novatrice, s’il pouvait surveiller son laptop le temps qu’il s’accorde une pause intime nécessaire. Le jeune cadre dynamique acquiesça sans lever la tête de son écran et Marcel Marchand se faufila jusqu’aux toilettes, son sac à la main, abandonnant derrière lui son ordinateur, appât espéré pour les deux agents, afin de lui permettre de gagner de précieuses minutes.
Ce sont les gorgées suivantes qui se gâtent, l'alcool a mauvais goût quand il sert à oublier.
Certains voient le cancer à la façon d'un nénuphar, moi j'imagine la dégénérescence comme un cep de vigne. C'est sûrement rassurant, la mort végétale, le soulagement de penser qu'après nous il reste au moins une fleur qui pousse.
Mon garde du corps, qui est aussi mon geôlier et potentiel futur bourreau, hésite.