À chaque pas,ses brodequins s’enfonçaient dans la fange, puis faisaient un bruit humide de succion lorsqu’il les en dégageait. Des rebords de son chapeau de brousse coulaient des filets d’eau comme des gouttières. La pluie tombait en abondance depuis trois jours sur la colonne de parachutistes coloniaux français qui progressait dans ce foutu marécage couvert d’eulalie, la fameuse » herbe à éléphants » haute de plusieurs mètres.
La migraine palpitait contre ses tempes et la nausée montait en elle comme une lame de fond.
- Assez de violence, dit-elle.
Fowler la dévisagea. La jeune femme avait les yeux vides.
- Assez de massacres, ajouta-t-elle. J'ai eu mon compte.
Le Britannique et l'Annamite se regardèrent.
- Elizabeth ? Vous vous sentez bien ? demanda Fowler.
- Nous sommes censés être neutres pour pouvoir faire notre travail correctement, Graham. Mais j'ai l'impression vous avez choisi votre camp.
- Il est impossible d'être neutre. Vous comprendrez cela lorsque vous serez un vétéran, dit-il avec un léger sourire. Je ne dis pas qu'il y a un camp du bien et un camp du mal, non, certainement pas. Je dis que le plus souvent il y a un camp du mal et un camp du moindre mal.
- Et vous pensez que nous autres Occidentaux sommes le moindre mal ?
- Ce sont des Méos. IIs s'appellent entre eux les Hmongs. «les hommes » dans leur langue, dit Ferrari. C'est une tribu montagnarde de chasseurs et de cultivateurs aux mœurs traditionnelles. Ils connaissent ces montagnes comme le fond de leur poche et ils détestent autant qu'ils méprisent les Annamites et, naturellement, les Vietminhs qu'ils tuent sans pitié, avec une extrème férocité.
- Pourquoi cette haine?
Ferrari haussa les épaules.
- C'est sans doute dû aux idées que professent les rouges et qu'ils tentent d'imposer, mais c'est surtout lié à la méfiance naturelle et universelle qui oppose les hommes des montagnes à ceux des plaines. Les montagnards ont souvent du mépris pour ceux quí vívent dans l'abondance des terres basses. De leur point de vue, la vie facile rend faible et indolent. Quant aux hommes des plaines, ils craignent les montagnards, ces barbares frustes et illettrés. Ils n'ont pour seul désir que de les soumettre. Je peux vous en parler je viens de l'un de ces petits villages de montagne.
- Ah ? Vous ne m'avez pas du tout l'air d'un barbare illettré.
- Faut pas vous fier aux apparences, m'dame. En outre, dzns ml pays, on ajoute l'insularité à la montagne, pour façonner les pires de tous les barbares illettrés.
- Tiens donc ? Mais d'où êtes-vous, lieutenant Ferrari ?
- De Corse, bien évidemment.
[...] Dao la regarda avec une admiration qu’il ne tentait plus de dissimuler.
— Si vraiment vous n’êtes pas un agent de la CIA, ils feraient bien de vous recruter.
A la guerre, tout le monde ment. Tout le monde se parjure .
Les Corses, c'est un peu comme les Siciliens en plus discrets, en plus malins et en plus voyageurs.
C'est le prix à payer pour que la guerre ne soit pas qu'une idée abstraite et nos morts de foutues statistiques déclamées par des politiciens larmoyants. Ce sont les gens comme Robert qui nous mettent en garde contre la banalisation de la guerre et de la violence, en l'incarnant à travers ceux qui la font et ceux qui la subissent, en nous montrant leur sang et leur désarroi...
Il ne parvenait pas à se résoudre à l'utilisation de ces armes indignes, seulement bonnes pour les paresseux. Dans sa conception d'honorabilité du métier de tueur, on devait aller au contact de la cible dans une quasi étreinte intime et non pas l'abattre dans le dos, comme un lâche.
Les montagnards ont souvent du mépris pour ceux qui vivent dans l'abondance des terres basses. De leur point de vue, la vie facile rend faible et indolent. Quant aux hommes des plaines, ils craignent les montagnards ces barbares frustes et illettrés. Ils n'ont pour seul désir que les soumettre.
[...] Vous pensez donc vraiment que vous allez perdre cette guerre ? Bremond haussa les épaules.
— Je vous l’ai dit l’autre soir au mess : elle est déjà perdue.