On n’aime jamais autant la vie que dans la possibilité de la mort.
Dès le début, j’avais été mise au parfum de la dialectique propre aux parachutistes de l’armée française. Une phrase en particulier m’avait marquée : « Le parachutiste ne va pas au ciel, il y retourne. » Par la suite, Cédric s’était frotté à l’humilité des équipiers du Treize. Les missions s’étaient succédé, éprouvantes. Au fil des années, j’avais compris que, provocatrice et flamboyante pour la forme, cette rhétorique toute-puissante avait essentiellement pour fonction de souder les hommes et de conjurer le mauvais sort.
On n'aime jamais autant la vie que dans la possibilité de la mort.
Toujours pas de panneaux indicateurs. L'absence d'indices était telle que j'avais l'impression de traverser un pays sans mots, un pays sans verbes. Peut-être était-ce cela, tout simplement, un pays en guerre.
Pour leur plus grand malheur, ces gens modestes avaient mis au monde un être incandescent.
Le colonel égrenait les faits. Parfois un reste d'accent corse, à peine perceptible, s'engouffrait comme un coup de vent furtif dans des syllabes choisies au hasard. J'ai essayé de me lever. Au ras du sol, cernée de mines sombres, j'étouffais. Le groupe de Cédric était tombé dans une embuscade tendue par des djihadistes, lors d'une mission de renseignement commanditée par le Commandement des opérations spéciales. Cinq autres soldats du régiment avaient trouvé la mort, deux autres avaient été blessés, Ces derniers allaient être rapatriés en France dans les jours à venir.
A peine à l’intérieur, j’ai glissé par terre. Corps saccagé que la mort empêchait de rester debout.
Entre femmes, nous ne nous disions rien. Nous respections le choix de nos maris. C'était surtout par superstition. Ne pas dire, ne pas dévoiler, respecter ce statu quo de mystère, c'était maîtriser, même une part infime, le destin de nos hommes.
Le parachutiste ne va pas au ciel, il y retourne.
La mort faisait partie de la vie du soldat et de celle de ses proches. Peut-être était-ce d’ailleurs son éventualité, plus prégnante que dans d’autres métiers, qui avait toujours rendu notre amour si puissant. On n’aime jamais autant la vie que dans la possibilité de la mort.