Alors que les bourrasques nous secouaient et que le vent tiède achevait de nous déshydrater, j’avais failli perdre courage. Il y avait ce climat hostile et le mutisme des hommes. Même leurs pensées me semblaient clandestines.
La mort faisait partie de la vie du soldat et de celle de ses proches.
Il lui fallait racheter la faute de cette famille modeste qui se contentait d'exister ans vivre et dont les membres rejoindraient bientôt la cohorte de ceux qui disparaissaient un jour sans laisser de trace.
Je me haïssais. Cette journée était un film d’horreur. Chacun de mes pas, un coup de poignard. A chaque mot que je prononçais, je m'attendais à ce que I'un d'entre eux me pose la question avec un regard transparent. « Maman, pourquoi tu ne nous dis pas que papa est mort ? » La déception et puis l'horreur : papa est mort et maman est une menteuse. J'ai essayé de garder un visage ouvert. Tête haute, sourire affable. En réalité, j'étais une sorcière. Mes efforts pour maintenir l’apparence du poli, du fuide, du quotidien étaient tels que mes traits étaient devenus rigides. Sous le masque, tout n’était que saccage.
Mon cœur n’était plus un simple organe. Il était animé d’une vie propre et m’échappait, brisait ma cage thoracique, fluidifiait l’horreur afin qu’elle me contamine tout entière.
la vie poussait les morts. Je le savais. C’était désormais descendu jusqu’au cœur, cela se développait comme un cancer jusqu’aux poumons, des métastases jusqu’aux jambes.
Ces charges que l on empoigne
Diviennent nos compagnes
Quand nous partons la nuit vers l inconnu
Disparaître dans les bois
La mission faisant foi
Dans la nuit le vent le froid nous restons à l affût
C est ça notre destin
C est de vivre en clandestins
Silence discrétion c est notre but
Les mots sortaient tout seuls, automatiques, tels des balles qui allaient faire mouche. Je sentais le général se pétrifier. Ses yeux scrutaient les mains que j’avais posées sur mes genoux. Il brûlait de m’écraser jusqu’à ce que je me taise. Je m’en fichais.
Avant de s'engager dans l'armée, Cédric avait vécu l'ennui de ces jours trop lents qui avaient composé ces années trop longues, comme une drame insupportable dont il lui avait fallu absolument se soustraire, sous peine de crever. Il lui fallait racheter la faute de cette famille modeste qui se contentait d'exister sans vivre et dont les membres rejoindraient bientôt la cohorte de ceux qui disparaissaient un jour sans laisser de traces.
Cédric voulait devenir un héros. Quitte à en crever, quitte à ce qu'on le marque au fer rouge [..]