Citations sur La trahison des Lumières. Enquête sur le désarroi contempor.. (14)
Si l'Occident est en crise, c'est parce qu'il a cessé d'exercer sur lui-même la capacité critique qui le constituait.
Désormais, ce n'est plus une crainte, c'est un constat qui hante le débat politique. Qu'il s'agisse de la ruine de la citoyenneté, de la déliquescence syndicale, de la grande panne éducative, de l'effondrement du civisme, du repli frileux sur la sphère privée, du déclin des modèles de parenté ...
tous ces phénomènes participent d'une même origine: La victoire définitive du «moi» sur le «nous»,la dissolution programmée du lien social.
Toute guerre politique se ramène peu ou prou à cette ambition rhétorique : investir symboliquement le lieu d'où procède l’innocence. Ainsi le démagogue de l'humanitaire, persécuté par procuration, s'enveloppe-t-il dans le chagrin des mourants, comme le tribun romain dans sa toge. C'est obscène mais ce n'est pas nouveau. Le politicien retors qui parle au nom des miséreux de son canton fait-il autre chose ?
L'individualisme absolu génère ses propres souffrances.
On n'insistera pas non plus sur la maniaquerie commémorative qui - en France surtout - rassemble tous les trois jours la communauté nationale autour d'un anniversaire héroïque, une figure emblématique, la preuve répertoriée d'une énergie ancienne ou d'un courage notoire. Révolution de 1789, appel du 18 juin, débarquement de Normandie ou de Provence, Libération de Paris et autre lieux : depuis dix ans, on commémore comme on respire.
Certes, en France, plus que nulle part ailleurs, la mémoire est constitutive de l'identité nationale.
Deux figures emblématiques du mal structuraient jusque-là nos certitudes démocratiques : un al absolu, le nazisme, et un mal relatif, le communisme. La chute finale du deuxième, étouffé sous ses meurtres et ses échecs, a brisé une symbolique en introduisant subrepticement un principe d'équivalence.
Libéré de ses carcans, désarrimé, le monde s'émiettait bien plus vite qu'il ne s'unifiait. Et pas seulement en Europe. Le village planétaire vers lequel, pensions-nous, s'acheminait la modernité, se fragmentait finalement en quartiers rivaux et hameaux jaloux. A l'utopie de l'uniformité répondait - partout - le fétichisme de la différence.
Une épidémie funeste menacerait ainsi la planète, celle de l'irrationnel et du cléricalisme.
Que répète, en effet, le discours dominant ? Ceci : le monde entier est à nouveau la proie du fanatisme religieux. La modernité démocratique est assaillie par les prêcheurs en soutane, mollahs imbéciles, imams fous, rabbins hallucinés ou popes serbes bénisseurs de canons. De partout monte à nouveau la marée noire de l'obscurantisme qui subjugue les analphabètes et rameute les laissés-pour-compte.
Fragilités démocratiques
Chez nous,en Occident, règne encore l'indolence repue et la profusion des marchandises. Nous bivouaquons dans un présent gavé de pain et de jeux. Les temps ne sont durs que pour quelques-uns.Collectivement, en effet,nous avons transféré le poids du présent sur les épaules d'une minorité malchanceuse. Les exclus,ces nouveaux esclaves, assument à eux seuls le souci des dettes.Pour le reste,le scepticisme désenchanté et la dérision rigolarde gouverne l'air du temps.Mais la peur du manque, en vérité, est obscurément revenue dans la cité. Et avec elle, la conscience d'une insécurité nouvelle, d'un ébranlement souterrain.