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Critique de jmb33320


« Trop fort. C'est trop fort. Il répéta au moins dix fois de suite que c'était trop fort, puis, quand il eut enfin dominé le double choc de cette double nouvelle – un duel, c'était déjà gros, mais un duel avec Cripure, c'était énorme ! – il voulut savoir le pourquoi de la querelle. »

C'est Babinot, une sorte de poète local grandiloquent et assujetti à tous les puissants de cette ville côtière jamais nommée, mais qui pourrait être Saint-Brieuc, qui parle ici. Il a été sollicité pour être son témoin par Nabucet, professeur qui enseigne dans le même lycée que Merlin, surnommé Cripure.

Autant ce dernier est un esprit libre dans un corps souffrant (il est atteint d'une maladie rare, l'acromégalie) autant Nabucet est servile envers tous les élus locaux et les forces armées, ce qui n'est pas sans conséquences alors qu'en cette année 1917 on fusille à tour de bras des « défaitistes ».

Cripure partage sa vie avec Maïa, une ex-prostituée au langage fleuri et à la comprenette limitée, qui objectivement s'occupe entièrement de lui et de son intérieur sans jamais, ou presque, obtenir autre chose que des sarcasmes en retour. Sa tendresse, il la réserve plutôt à ses quatre chiens même si ceux-ci, couverts de puces, les partagent généreusement avec lui.

Ce roman a été pour moi une découverte exceptionnelle. Je n'avais pas lu depuis très longtemps une fiction menée autour d'un personnage hors norme tel que ce Cripure (pour Critique de la raison pure, que ses élèves ont transformé en « Cripure de la raison tique »). Si le style de Louis Guilloux est éloigné de celui de Louis-Ferdinand Céline, il n'en demeure pas moins comme un air de famille avec les plus grands romans céliniens dans l'intrigue, ou plutôt les intrigues croisées, de ce vaste roman.

Les situations, les références sont plutôt tournées vers les grands auteurs russes avec leurs sentiments exacerbés, leurs excentricités, leurs questionnements autour de la foi (on se déplace en troïka dans cette ville de province. Elle est décatie et menée par un pauvre homme et son cheval Pompon, mais c'est tout de même une troïka, grelots compris).

Les multiples personnages secondaires sont presque tous des figures très singulières : Moka et Glâtre en particulier. Seuls les jeunes gens semblent vouloir quitter cette ville, tant qu'il en est encore temps. Mais ils ne sont pas pour autant épargnés par la corruption générale.

Malgré tout c'est plutôt au domaine anglo-saxon que je rattacherai ce livre. Il y a du Falstaff dans Cripure, mais aussi de l'Ignatius J. Reilly de « La conjuration des imbéciles » de John Kennedy Toole. Comme lui Cripure se retrouve sans cesse pris dans des situations qui partent en vrille, certaines qu'il provoque et d'autres qui lui échappent totalement.

Le style de Louis Guilloux m'a paru étonnamment actuel. Ce roman n'a pas pris une ride depuis 1935, année de sa parution. Encore un auteur dont je voudrais poursuivre la lecture de l'oeuvre ! Mais il y en a tant. Pour espérer les lire il me faudrait faire des choix beaucoup plus drastiques dans ma « liste à lire », ce qui n'est pas gagné d'avance car je préfère laisser la priorité à mon humeur du moment lorsque je passe d'un livre a un autre.
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