“Au fond de lui, il se doutait que sa présence sur cette île était à l'image de toute l'histoire de l'humanité, le fruit du hasard, que ça ne signifiait rien du tout, que ça n'avait aucun sens.” p.166
Projection scientifique ou expression d'une angoisse existentielle :
Rocky, dernier rivage est-il un récit d'anticipation ou de science-fiction ? C'est en tout cas un livre qui fait du bien, parce qu'il nous rappelle combien on est chanceux d'avoir une petite vie confortable et un monde qui tient debout.
Thomas Gunzig a imaginé la fin de l'humanité d'une manière très réaliste, comme si ça pouvait arriver du jour au lendemain.
Et pourtant, ses personnages vivent dans un cocon luxueux. Famille riche de 4, ils ont déménagé dès les premiers signes de la catastrophe sur une île à plusieurs centaines de kilomètres des côtes. Ils ont réuni tout ce dont ils avaient besoin : nourriture, loisirs, médicaments. C'est littérairement étrange que de lire la vie agréable de ce qui semble être la dernière famille humaine. C'est comme s'il y avait un retour en arrière vers l'apparition des premiers hommes ; comme si un dernier sursaut d'humanité résistait, confiné dans une maison, avant la fin.
L'anxiété et l'absurde infusent petit à petit. La richesse de cette famille et leur opulence insolente n'a pas de sens, car plus personne n'est là pour la regarder. On voit l'arrivée de l'implacable solitude qui les éloigne les uns des autres et fait d'eux une famille dysfonctionnelle. A travers plusieurs chapitres entre passé et présent, menés d'une main de maître, dans l'esprit de chaque personnage, on assiste à la perte progressive de la raison et de l'envie de vivre. Il y a du déni, du désespoir, des rêves et de l'abandon, on sent le temps qui s'échappe, d'une vie qui ne pourra pas être rattrapée et qui semble gâchée.
Thomas Gunzig écrit d'une perspicacité affolante sur la psychologie humaine ; mais il est aussi brillant dans sa description de la lente agonie du monde après la catastrophe, comment il a imaginé les émeutes et leurs répressions, la fermeture des supermarchés, la disparition des chaînes d'information…
C'est un roman terrifiant, asphyxiant et cruel d'anticipation lucide. C'est un huis-clos brillant qui nous alerte et nous permet de comprendre combien notre vie actuelle est superficielle et instable. Nous nous attachons à un monde intellectuel et matériel, or nous avons surtout besoin des autres pour vivre. Nous avons surtout besoin de revenir à la réalité primaire.