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Critique de Patsales


Et si les Beatles n'étaient pas nés ? se demande Pierre Bayard. Peut-être écouterions-nous les Kinks en nous pâmant. L'uchronie, expliquait-il sur France Culture, nous oblige à réfléchir sur nos goûts : dans l'infini des possibles, il existe un monde où c'est Anatole France et non Marcel Proust qui est considéré comme le grand écrivain national.
(Parenthèse digressive : c'est marrant, imaginer un univers sans Michel Houellebecq ne me procure aucune angoisse particulière)
Bref, la postérité tient à bien peu de choses et le génie ne saurait l'expliquer à lui seul.
Ainsi, nous vivons dans un monde où Marc Papillon, seigneur de Lasphrise, auteur des « Amours de Théophile » et de « L'Amour passionnée de Noémie », est parfaitement inconnu, au grand dam de Marcel Coulon qui tenta de comprendre pourquoi celui qu'il considèrait comme « le chantre de l'amour sensuel le plus talentueux de la Renaissance » laissa si peu de traces dans les anthologies. Vous me direz que Marcel Coulon n'est lui-même pas très gâté par les trompettes de la renommée, mais il existe bien des gens qui croit de bonne foi que Molière est une grosse dent du fond, alors relativisons.
Donc, Coulon préfèrait Ronsard à Lasphrise mais Lasphrise à Du Bellay. Et Jacques Roubaud récite, fort bien ma foi, sur YouTube, le Sonnet en langue inconnue. Finalement, le XX°, puis le XXI° ne sont pas si oublieux du poète angevin.
Mais c'est Hubert Haddad qui enfonce le dernier clou dans le cercueil de Papillon en inventant le plus excitant des paradoxes : en faisant de lui le héros de son roman, en rendant justice au poète-soldat, il fait mourir celui qui avait décidé de rester en vie tant que ses oeuvres ne le rendraient pas immortel.
On sait qu'il s'agit là d'un des marronniers de la poésie ronsardienne : Quand vous serez bien vieille, le soir à la chandelle, vous serez bien contente de demeurer belle à jamais grâce aux vers que je m'en vais écrire séance tenante dès que vous aurez eu l'amabilité de passer à la casserole.
Lasphrise, lui, plus humble, plus émouvant, s'adresse à son livre qui s'en va vivre sa vie sans lui :
Tu rebanderas bien les insolents brocards ;
Courage, après ma nuit nous survivrons gaillards,
Et ceux qui nous blâmaient chanteront nos louanges.
Alors, oui, je chante les louanges du poète oublié, plus sans doute que je ne chante celles de son biographe : car si le corps de Papillon traverse les siècles, les siècles se refusent à lui. Passée une délicieuse rencontre dans la ruelle d'une Précieuse, Papillon de Lasphrise glisse comme un fantôme fatigué, ignorant tout des époques et de leurs écrivains. le lecteur fasciné finit par tomber lui aussi dans une langueur ennuyée qui, si elle convient au sujet, n'est pas sans provoquer de légers mais distingués bâillements.
Mais voilà la dernière page tournée, le livre refermé, et, comme le poète l'avait prévu, avec ou sans magie noire :
[…] comme oeuvre admiré que dignement on prise,
Dedans son cabinet curieux te mettra ;
Au rang des demy-dieux on te reconnoistra.
Ainsi entre les grands tu paroistras, LASPHRISE.
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