Quand un ami vous connaissait mieux que vous même, il n’y avait pas un endroit où cacher vos vérités.
Il n’y avait pas plus mauvais juge qu’un cœur qui cherchait à battre encore, par tous les moyens, même s’il devait vous mentir pour espérer quelques battements supplémentaires.
Il n’y avait pas meilleure tortionnaire qu’une âme qui refuse de s’éteindre et qui met devant vos yeux un délire ou deux pour vous permettre d’avancer encore une journée.
À cette époque, on disait la France divisée. D'un côté les collabos, de l'autre les résistants. Ceux qui dénonçaient et ceux qui s'opposaient. On en oubliait parfois qu'entre les deux des millions de personnes essayaient seulement de continuer. Continuer d'avancer sur les ruines d'une guerre. Continuer avec cette peur chevillée au corps et au coeur.
Il n'avait aucune idée de ce que voulait dire être un homme bien. Ce que ça demandait comme abnégation. C'était grandir avec les armes que nous avaient données vos parents et vivre en apprenant à vous en servir. C'était avancer en essayant de vous montrer digne de tout ce qu'ils vous avaient légué et passer toute une existence à tenter de vous hisser à leur hauteur. C'était marcher droit, la tête haute, et apprendre de chacune de vos erreurs. C'était ne jamais abandonner, ni devant l'effort, ni devant l'adversité, encore moins quand tout semblait perdu d'avance. C'était se battre et résister, oui !
A la lumière d'un souvenir, hier ne meurt jamais.
Nous portions tous les chaînes des Allemands. Ce n'était pas en les ignorant que nous marcherions avec plus de facilité. Ce n'était pas en refusant de les sentir ralentir nos pas qu'elles disparaîtraient pour autant. Ce n'était pas en se battant contre du vent que nous réussirions à les briser. Ce qu'il nous fallait, c'était une clef pour nous libérer. Et nous n'en avions aucune. Alors en attendant de la trouver, il fallait s'en accommoder le plus dignement possible.
Si tant est qu'il y ait quelque dignité à être prisonnier.
Il n'y avait rien de plus redoutable que ça. De chuter pour les yeux d'un homme, de tomber pour son sourire, de basculer pour son étreinte.
Cet amour, le notre, était si effrayant, parfois.
Il nous portait au-delà de la raison.
Au-delà d'un monde qui ne comprenait pas que derrière cette porte fermée, nous nous battions encore.
Avec nos cœurs écorchés.
Et nos larmes qui, enfin, se mettaient à couler.
Je n'avais même plus la force de respirer.
Pourtant j'avais toujours eu celle de l'aimer.
Lui.
Ce que je ressentais pour lui, c'était une rébellion. Le soulèvement d'un sentiment qui n'aurait jamais dû exister.
Une indiscipline du coeur.