AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de lafilledepassage


Christiania, 1884. Un jeune homme erre dans les rues de la ville, en guenilles, le teint hâve, les traits tirés. C'est Knud Pedersen, qui sera plus tard plus connu sous son nom de plume Knut Hamsun, futur prix Nobel de littérature, et parfois surnommé le « Dostoïevski norvégien ».

Pedersen a quitté les îles Lofoten, cette région sauvage aux paysages impressionnants et au climat rude, et a fui son oncle autoritaire et pieux pour tenter sa chance dans le milieu littéraire de la capitale de la future Norvège.

Le pays est alors très pauvre (eh oui difficile d'y croire, mais nous sommes bien avant l'exploitation des puits de pétrole et des gisements miniers qui fera l'immense richesse de la Norvège moderne) et le jeune homme doit lutter jour après jour pour manger.

La faim, qui compte au nombre de ses admirateurs Gide, Mirabeau, Paul Auster, est le récit de cette période. Tous les jours, il faut trouver à manger, et parfois tromper l'estomac en mâchonnant de simples copeaux de bois.

Hamsun partage ici cette expérience de la faim, en en décrivant chacun des stades: maux de tête, nervosité, étourdissement, crampes au ventre, vomissement, chute de cheveux, troubles de la vue, peur, nausées causées par sa propre salive, hallucination, accès de paranoïa, … jusqu'aux sens exacerbés, jusqu'à la dissolution de l'être qui n'est pas sans rappeler les expériences extrêmes des ascètes hindous et autres mystiques.

Au-delà de la faim, de cette expérience physique, l'auteur révèle son caractère, sa honte d'être pauvre, sa douleur de ne pouvoir donner aux mendiants et la joie de donner le peu qu'il a, son sens aigu de l'honnêteté et de la droiture. Dieu en prend pour son grade, car Hamsun ne craint pas de l'interroger sur ses desseins, sur sa pseudo bonté, comportement assez atypique dans la Norvège pieuse et conventionnelle de cette fin de XIXème. On découvre un homme fier à en crever, qui tient peut-être bien plus à sa dignité qu'à la vie, et qui garde toujours une once d'espoir, certain que les choses finiront par s'arranger. C'est un bel exemple de ténacité.

Ténacité aussi dans la volonté d'écrire, dans la conviction de sa vocation d'écrivain. En effet, Hamsun témoigne ici aussi de ses débuts créatifs. Il nous parle de sa facilité à inventer des histoires, à « baratiner » comme on dit avec un certain dédain. Il décrit son processus de création et décortique les mécanismes mentaux en jeu. Peut-être est-ce d'ailleurs pour cette introspection du personnage principal, sorte d'anti-héros, qu'on l'appelle le Dostoïevski norvégien ? Il nous plonge au coeur de ses crises de doute et d'inspiration, quand les mots ne viennent pas, quand ils fuient à la moindre distraction, ou au contraire quand ils jaillissent comme une source et vous prennent d'assaut.

Personnellement, contrairement à une idée largement répandue, je ne crois pas qu'il faille avoir vécu un traumatisme, quel qu'il soit, pour être un artiste. Je pense que le point commun à tous les artistes est une grande force de caractère: s'accrocher coûte que coûte, se remettre en route après un énième échec et ne jamais douter d'être un jour reconnu. Et Hamsun ici nous donne une magnifique leçon de pugnacité, à garder à l'esprit les jours de doute.
Commenter  J’apprécie          488



Ont apprécié cette critique (43)voir plus




{* *}