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Critique de le_Bison


Je me suis levé ce matin, la gueule en bois, la bouche poussiéreuse. Après avoir craché quelques fragments de poumon, chaussé mes santiags et mis mon caleçon, dans cet ordre, je pars me faire du café. Les yeux dans le vague, ou le vide, cela dépend où pointe mon regard, je remplis la bouilloire, prends la tasse pas très nette qui était rangée dans l'évier entre les restes d'une vaisselle de trois jours, sors une petite cuillère du tiroir, ouvre le bocal à Nesca, et me rend compte qu'il est vide. Ça me donne envie de me recoucher aussitôt. Je repense à toi qui m'as quitté un peu plus tôt dans la saison. Depuis, l'envie de la vie se conjugue surtout avec saoulerie et coucherie. le diptyque préféré des amoureux solitaires du Michigan.

Il neige dehors. Banalité d'une phrase mais qui prend tout son sens dans une contrée du Michigan. Tout de vient blanc et immobile, comme une coupure du temps. Les secondes ne s'égrènent même plus. On s'y fait à cette vie. Je m'y suis accoutumée, au contraire de ces dames souvent trop frileuses pour ce genre de lieu. Bref, je ne suis pas là pour m'étendre sur ma chienne de vie. Non, je voulais te parler d'une rencontre. Mais tout d'abord, j'enfile mon futal, démarre le pick-up direction la Wolf Tavern. L'odeur du café matinal me manque trop. Je prends un tabouret en bout de comptoir et attends que la serveuse vienne prendre ma commande. Nancy, je crois, une nouvelle de la Grande ville. Elle a du se perdre dans ce patelin ou alors son mec l'a largué sur le bord de la route. Un beau petit brin, cette fille. Ça me réchauffe déjà le coeur, et les yeux.

Je lui commande une bière. En attendant, je la reluque et je crois qu'elle le sent. Il est vrai que je ne suis pas très distingué mais si tu viens ici, tu n'auras affaire qu'à des rustres et péquenauds. Parfois gentils et aimables, n'empêche, dans ce pays, les gars aiment bien la chaire et le plaisir des yeux entretient l'espoir d'une rencontre d'une nuit. Et le cul qu'elle entretient, celle-là. Tiens, voilà le fidèle compagnon du comptoir qui vient s'installer à coté de mon tabouret. Un habitué, mi chien, mi indien. Il ne sent pas le raffinement non plus, mais c'est une crème avec les autres, surtout les femmes. Un oeil aussi lubrique que le mien. Chien Brun qu'on l'appelle. Il a une caravane à la sortie de la ville. Je l'aime bien, comme tout le monde, sauf les services sociaux.

Je suis sûr qu'il va entamer la discussion sur la dernière nuit qu'il a passé. Il m'éclate, ce gars-là. Il lui en arrive toujours des drôles et des superbes. L'associé idéal pour passer le temps accoudé au comptoir collant d'un bar d'une région reculée et enneigée. Gagné ! Si je comptabilisais le nombre de fois où l'histoire commence de cette manière, je deviendrais expert-comptable dans une usine désaffectée à Milwaukee. Sa dentiste ! Belinda. Elle a les yeux bleus. Elle a le front blond Belinda. Un nom à faire une chanson si je trouvais un refrain. Je lui demande alors pourquoi il a l'air si triste, la gueule d'un chien battu à qui l'on aurait caché toutes ses croquettes. Il me dit qu'il sortait de son cabinet, une rage de dent, et que malgré les invitations de la belle, il a du renoncer à un nouveau rencart ce soir. Pas de pot… Mais quand même. Réflexion nécessaire, Belinda la nymphomane.

Nancy repasse par là, deux verres pour ces deux chiens abattus. Abattus mais qui gardent la force de regarder au travers de son chemisier. Elle me rappelle mon ex, en plus classe. Comment qu'elle s'appelait déjà ? Ah, oui, Gretchen qui a viré lesbienne. Je serais bien resté avec. Ce n'est pas moi que ça dérangeait. Un peu plus de fantaisie et de trous dans le lit, ça ne peut que flatter notre virilité. Chien Brun revient sur Gretchen qu'il a connu aussi avant moi, sans réussir à la dompter. Une fille qui a mal tourné. Je ne comprends pas pourquoi. J'étais pour elle. Plusieurs fois, je l'ai invité à ce bar. Notre table, c'était celle du coin là-bas, là où sur la table est gravé « C.B. + Shelley » entouré d'un coeur. Chien Brun me raconte du coup leur première rencontre. C'était à l'université. Je te rassure de suite, ni lui ni moi n'avons fréquenté ces bancs. Et pourtant, j'aurais du, je m'en mords les doigts. Pas que j'aurais mieux fini, genre dans une Grande ville, avec une cravate et des mocassins en peau de belette non maculés de bières de la veille. Non, là-bas, j'aurais pu en faire des rencontres, des belles, des jeunes, mêmes des grosses. Incontestablement, c'est ce qui ressemble dans cette contrée au paradis.

Au fait, Shelley, elle était comment déjà. Je crois que je l'avais croisé ici, mais je ne devais pas être en état de me souvenir de qui que ce soit l'heure d'après. Elles sont belles toutes ces femmes. Je tombe facilement amoureux. Seul moyen de survie, quelqu'un pour partager sa couche, histoire de ne pas finir seul et congelé dans une caravane remuée par le vent incessant du Nord. Ce vent glacial qui te fait garder les santiags pendant les préliminaires des ébats amoureux. Parce que de l'amour, il en est souvent question, on n'est pas des bêtes. Des hommes un peu rustres certes, un peu loups parfois même, mais on garde le respect du reflet dans le miroir. Shelley, brune callipyge perdue dans ce comté venteux, de quoi ébouriffer sa toison brune.

Je crois qu'en chemin, je me suis perdu. Une route longue et sinueuse entre les pins et les épicéas. La sève coule le long des arbres. Sensuelle sensation quand je caresse l'arbre, passant le majeur sur cette substance mielleuse glissant sur l'écorce, en pensant à Shelley, à Gretchen, à Belinda… Je te parle de mes femmes, de sève et d'alcool alors qu'il était question de roman. Bien sûr tout ceci n'est que fiction ou fantasme, où est la différence ? Au début, il était question de Jim Harrison et de « l'été où il faillit mourir ». Un roman, trois histoires, singulières différentes, surprenantes. Lire Jim, c'est comme entrer dans un bar du Michigan, commander une bière et regarder le menu. Entrée – plat – dessert. 3 nouvelles. D'abord cette histoire de Chien Brun, drolatique et pimentée, passionné par les femmes et la gastronomie. Une mise en bouche savoureuse et épicée. Se poursuit ensuite cet étrange récit où Jim se prend pour une femme. L'écriture devient féminine et raconte une histoire d'adultères et de femmes républicaines. Aie, Caramba… La bouche en feu, celles-là, toujours la passion, l'amour charnel. Sensuel et immoral comme ce gibier que l'on te sert à table de ce restaurant. Comme la boule de glace à la vanille sur ta tarte chaude aux cerises, tu entames la troisième nouvelle. Histoire alcoolique, histoire de la littérature. Jim est redevenu Jim, il se met en scène, décrit son penchant pour l'alcool, sa façon de vivre, ses amis de Misoula et d'ailleurs, ses références et sources inspiratrices, Hemingway et Faulkner en tête. Récit personnel et passionné. Puissant. Presque indispensable pour les amoureux de Jim Harrison, pour partager sa vie, ces espaces, pendant quelques pages…
Lien : http://leranchsansnom.free.f..
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