Certaines personnes sont comme ça. Elles ont beau aimer un enfant, elles sont incapables de l'élever, parce qu'elles ne s'aiment pas assez.
Il n’y avait qu’une seule chose qui comptait aux yeux de Paul, une seule : les vieilles cartes de la ville de New York.
Il dégageait une autorité immédiate, un mélange de confiance en soi et d’affabilité qui incitait les gens à se presser autour de lui… On voyait immédiatement que, s’il en avait envie, il aurait un avenir politique.
L'Histoire avance et vous abandonne dans une gare avec une valise trop lourde à porter et un ticket périmé.
Voilà pourquoi le papier dégageait toujours une certaine tristesse: il parvenait à capturer le passé mais celui-ci restait irrémédiablement coincé.
Ahmed avait l’air pressé de devenir le premier sénateur ou le premier gouverneur irano-américain, et pour ça il fallait que Madame soit une bonne petite Américaine. Il lui faudrait encore attendre des années avant d’atteindre ce sommet-là, lorsqu’il aurait une fortune sur son compte en banque et que sa réputation serait faite. Grand et svelte sans pour autant avoir l’air fluet, ses cheveux noirs coiffés en arrière, Ahmed dégageait quelque chose d’à la fois racé et puissant. Avec l’âge, ça ne ferait que s’accentuer. Ses aînés commençaient déjà à le craindre : Paul s’en était rendu compte au cours de ces soirées, quand il voyait les autres chercher dans les yeux d’Ahmed son approbation ; quand, à la moindre politesse de sa part, les fils invisibles de leur anxiété étiraient brusquement un sourire sur leurs traits usés ou quand ils acquiesçaient même lorsqu’il n’y avait rien à quoi acquiescer.
Hassan trempa les lèvres dans son verre. "Tout le monde veut avoir le contrôle, et personne ne l'a jamais. Je pensais que tu avais compris ça. C'est une des choses que la vie t'apprend, tu sais ?"
Jennifer n'était plus tout à fait la jeune femme candide qu'il avait rencontrée un an auparavant, lorsqu'elle avait emménagé avec Ahmed dans l'appartement d'en face. Quand on gravit les échelons à ce rythme là, on apprend vite. Ahmed, lui, visait les sommets : sorti de Yale à l'âge de vingt ans, doublement diplômé de Harvard en droit et en commerce à vint-quatre, il était devenu un homme d'affaires hybride, mi-financier, mi-avocat. Une grosse tête aucun doute là-dessus. Un type imbu de lui-même, un winner dans une ville de winners.
Paul réalisa qu'il n'avait pas pris la mesure de ce que pouvait représenter pour une si jeune fille le fait de débarquer à New York et de tâcher de s'y faire une place. Elle avait du se sentir en danger. D'autant plus qu'elle était belle." Je ne connaissais rien". Jennifer se renfonça dans le canapé et contempla les lumières qui brillaient au delà de la fenêtre: " je veux dire, il y avait beaucoup de gens de mon âge, mais je ne savais pas vraiment, comment dire..je ne savais pas comment fonctionnaient les choses...
Les gens avaient toujours collectionné les cartes, mais, cette fois, le monde sentait poindre cette mort terrible et silencieuse. La rumeur courait qu’un de ces princes saoudiens biberonnés au pétrole avait perdu la tête, et qu’il voulait mettre la main sur toutes les cartes possibles et imaginables du Moyen-Orient, sur le moindre document où figurait un lopin de terre entre le canal de Suez et les lointains rivages d’Oman. Sans regarder à la dépense, évidemment. Des paquets de millions s’il le fallait. Il aurait discrètement approché le British Museum et ses inestimables cartes militaires de l’Arabie, et n’avait peut-être même pas été refoulé.