Si vous n'êtes pas capable de vous apaiser, que pourrez-vous apprendre ?
Le passé est tout autour de nous [...]. Quant à l'avenir... Parfois, nous nous laissons aller à les scruter l'un comme l'autre. Certains lieux semblent à la croisée des chemins. Cet arbre s'est souvent avéré avoir cette propriété.
Il ignorait alors que sa tombe serait à la fois publique et anonyme, que des centaines de gens passeraient devant elle chaque jour, que sa stèle adresserait le défi des Otori aux voyageurs entrant dans la ville et que sa voix serait entendue à jamais en train de conserver sans fin avec le fleuve.
On avait donné au guerrier le droit de tuer, et sa classe suivait avec ardeur la voie du sabre. Cependant tout droit entraînait une responsabilité. La passion pour le sabre ne devait jamais dégénérer en passion pour le meurtre.
Gardez votre sabre le plus longtemps possible dans son fourreau, mais une fois qu'il est dégainé, servez-vous en sans hésitation.
- Nous n'avons même pas eu le droit à un remerciement ! s'exclama-t-il tandis que Sadamu et sa troupe s'éloignaient au galop.
- Vous vous êtes fais un ennemi, répliqua Irie.
- C'est un Tohan : nous étions ennemis en naissant.
- Mais maintenant, il vous hait à titre personnel. Vous lui avez sauvé la vie et il ne vous le pardonnera jamais.
Puis ils burent tous trois à tour de rôle dans la coupe restante. En l'approchant de ses lèvres, Akane entendit un accent nouveau dans le chant du fleuve.
- J'entends mon père, chuchota-t-elle en buvant le vin d'un trait.
- C'est impossible, il est mort depuis longtemps, répliqua Wataru. Ne vous tourmentez pas ainsi.
- Ecoutez ! dit Naizo.
C'est alors qu'ils entendirent tous trois comme une déploration assourdie se mêlant au bruit des flots. La voix du père d'Akane s'était transmuée en eau et il ne faisait plus qu'un avec le fleuve.
Il observa les branches du chêne qui se déployaient au-dessus de lui et semblaient toucher le soleil. L'arbre était imprégné d'une majesté presque sacrée. En le contemplant, Shigeru sentit son propre esprit s'élever vers les hauteurs. Son imagination envisagea un monde ignoré de lui, qui s'étendait autour de lui et qu'il n'avait jamais remarqué.
- Sire Otori !
L'homme qui avait déclarer s'appeler le Renard lui tendit le sabre reposant sur ses deux mains, en prenant soin de ne pas le serrer car à la moindre pression la lame aurait entaillé la peau. Le fourreau avait disparu mais les incrustations de bronze et de nacre brillaient sur la pognée. Shigeru le prit malgré lui avec révérence, s'inclina devant le donateur et sentit la puissance du sabre trouvant sa place dans sa main.
La vie, avec ses insupportables douleurs et ses exigences impossibles, l'envahit de nouveau comme un flot impétueux.
- Il ne faut pas vous tuer.
Etait-ce la voix de l'homme, celle de son père mort ou celle du sabre ?
- Vivez et vengez-vous !
Il sentit l'expression de son visage changer, ses lèvres s'entrouvrirent. Les yeux soudain remplis de larmes, il sourit.
Tout en courant, le garçon lui parla d'une voix saccadée des soldats et de l'attaque. Puis il déclara :
- Mais ce n'était pas uniquement pour ça qu'ils me pourchassaient. J'ai fait tomber Iida de son cheval.
Shigeru éclata de rire. Cela ressemblait à un présage : ce serait ce garçon qui ferait chuter Iida.
- Vous avez sauvé ma vie, reprit le garçon. A partir de ce jour, elle vous appartient.
Shigeru rit de nouveau, plein de joie mêlée de fierté. Le garçon avait du courage et des sentiments élevés. C'était un authentique Otori.
- Comment t'appelles-tu mon garçon ? demanda-t-il.
- Tomasu.
- C'est un nom typique des Invisibles. Il vaut mieux que tu t'en débarrasses.
Il eut brusquement une idée et déclara :
- Tu pourras prendre le nom de Takeo.
Il avait déjà décidé qu'il allait adopté ce garçon et en faire son fils. Otori Takeo, fils de Shigeru. Et à eux deux ils allaient abattre Iida Sadamu.