Ce soir-là, nous installâmes le campement dans les alpages du Caucase. La journée avait été rude, à se tordre les pieds dans le lit asséché des torrents. Plus l’air rafraîchissait, plus l’effort était intense, meilleure était ma forme. À la ville, je me faisais l’effet de marcher courbé, replié sur moi, nerveux, guettant à chaque pas le voleur, la rapine, l’affamé fouillant mes poches, le délateur notant mes faits et gestes pour la police du Philosophe. Ici, au-delà des miasmes et de la mesquinerie, je m’élevai, mon corps se redressait, mes épaules s’élargissaient et semblaient appeler l’air glacé des hauteurs dans mes poumons, ma tête s’emplissait du désir d’aimer, de découvrir, et de comprendre. Malgré toutes les entraves, malgré ma vie qui végétait, ici, je me sentais libre, élancé, ouvert à mes sentiments et à la poursuite de mes rêves.