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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Grandeur et décadence, c'est le lot de cet anti-héros qui réussit par bien des abjections à se hisser au niveau de ses rêves, puis par dégringoler d'aussi-haut pour finir par terre, mais plus heureux que jamais... On ne saurait dire s'il faut tirer un enseignement de ce parcours atypique, mais on peut en tout cas savourer la plume acidulée de Bohumil Hrabal qui nous enchante encore par une de ces fables dont il a le secret, fable baroque, légère et profonde à la fois, pleine de l'ironie, de l'inconséquence et de la poésie infinie de ce monde. A mettre au même niveau qu'Une trop bruyante solitude, celui des livres qui marquent une vie de lecteur.
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J'ai déjà lu beaucoup de livres de Bohumil Hrabal, qui est un de mes auteurs tchèques de prédilection, et jusqu'ici, mon livre préféré de lui a été « Une trop bruyante solitude ». Je resterai attaché à ce roman qui est pour moi un
« grand » livre important, mais « Moi qui ai servi le roi d'Angleterre » m'a paru indéniablement plus profond encore et je tiens à vivement remercier une amie babéliote de me l'avoir offert ! Ce roman est encore davantage passionnant ! Il a encore plus de force et de charme !

Quand on lit du Hrabal, on sent à chaque page que les humains l'intéressent profondément, et qu'il ne peut rester indifférent à leur sort. Grâce à son génie, il arrive à donner du relief aux êtres simples, à les magnifier, toujours avec beaucoup de fantaisie, de tendresse et de poésie. Il arrive à faire briller ses personnages dans la grande lumière. Bien sûr, il les transforme, et les déforme parfois aussi ! Il les enrichit par son imagination déchaînée, et il arrive à nous transmettre facilement son intérêt pour ses personnages.
Il aime insérer beaucoup d'épisodes comiques dans le courant de sa narration. Les gags, blagues, exagérations et fanfaronnades y sont courants. Avec son style baroque, il arrive à balayer souvent toute moralité, à relier le bien au mal et la cruauté du monde à sa beauté.

Et j'ai bien retrouvé tous ces traits caractéristiques de l'écriture de Hrabal dans ce roman, mais avec encore un cran au-dessus, plus passionnant et plus psychologique ! Je trouve que dans « Moi qui ai servi le roi d'Angleterre » il y a un élan baroque qui nous mène encore plus loin, dans les contradictions et les paradoxes de l'âme humaine, et dans une sorte d'étrangeté énigmatique de notre existence.
Ce livre est un roman initiatique, d'apprentissage à la Vie, et la vie du héros de Hrabal dans ce roman, n'est pas des plus simples ! Au début du livre, le narrateur-héros qui est un jeune garçon de quatorze ans, travaille en tant que groom dans un grand hôtel pragois dans les années vingt. Il est de petite taille, ce qui le gêne et lui donne un sentiment d'infériorité, mais il veut surpasser ce complexe et devenir quelqu'un qu'on admire et que l'on considère. On comprend vite que le narrateur veut goûter pleinement à la vie. Il est malin, et trouve même quelques combines pour s'enrichir petit à petit, en plus de son emploi, en n'hésitant pas à escroquer habilement. Il observe autour de lui tous les notables qui fréquentent cet hôtel. Il veut leur ressembler. Il a envie de jouer au grand seigneur, lui, le petit groom, devenir aussi important qu'eux, il veut à tout prix et rapidement briller en société, amasser beaucoup d'argent pour éprouver une sensation de puissance.
C'est son rêve, c'est ce à quoi il veut parvenir.

Les propos narrés sont assez euphoriques, lyriques. Au fil d'un long monologue, le héros nous fait part de ses rencontres avec les clients de l'hôtel qui lui sont sympathiques, et on a droit à nombre d'anecdotes, amusantes et divertissantes. Comme toujours, on n'est pas en reste avec Hrabal qui aime la palabre et la fantaisie ! Les phrases sont longues, parfois un peu répétitives et en lisant on a comme le souffle coupé, car c'est assez rythmé !
Au gré de ses rencontres, notamment avec des représentants de commerce, il apprend plein de choses nouvelles qui vont lui servir. « L'argent ouvre les portes du monde entier » lui disent-ils. « Il suffit d'attraper les choses par le bon bout. » Grâce à une recommandation, il va accéder à un nouvel emploi dans un hôtel de standing. Et en entendant les conversations de certains clients, il sera très tenté d'aller découvrir l'Eden, un célèbre bordel, situé à proximité. Il y fera l'apprentissage du sexe. Tel un rituel, il va s'y rendre régulièrement chaque semaine. Il y sera à chaque fois avec une prostituée différente. Il y dépensera son argent sans compter. Pour lui, y passer un moment, c'est goûter à l'extase. « L'argent m'avait ouvert les portes non seulement de l'Eden, mais aussi de la considération. »

Puis il va encore gravir une marche dans son ascension sociale en accédant à un nouveau poste dans un hôtel encore plus somptueux de Prague. Suite à une gaffe du 1er garçon de la salle de restaurant, il sera promu à sa place.
Ces péripéties sont amusantes et les descriptions des personnages et des scènes sont cocasses.
Le maître d'hôtel de l'établissement lui dit qu'un jour, il a lui-même servi le roi d'Angleterre, en personne ! Ce maître d'hôtel a un regard très affuté. Il lui donne plein de conseils, notamment celui de bien observer les clients pour jauger leurs capacités financières et évaluer ce qu'ils pourraient se permettre de dépenser… Ce grand hôtel a été choisi pour accueillir le Président de la République en personne avec un hôte étranger à sa table. de grands préparatifs s'annoncent… le grand Empereur d'Ethiopie, Haïlé Sélassié sera là en personne avec sa propre équipe de cuisiniers pour préparer des agapes inoubliables ! le récit du banquet gargantuesque avec un chameau dont le corps a été farci de deux antilopes, elles-mêmes farcies de dindons, le tout ayant étant embroché par les cuisiniers de l'Empereur est absolument inoubliable ! Notre héros va être apprécié de l'Empereur lui-même, au point qu'il va recevoir de sa part une médaille pour le remercier de son service impeccable ! Avec cette promotion et les pourboires qu'il reçoit régulièrement dans cet hôtel de grand standing, il arrive à déposer beaucoup d'argent en caisse d'épargne ce qui va lui permettre de devenir millionnaire.

Mais bientôt, l'histoire de notre héros arriviste et amoral, va être mêlée à la grande Histoire.
Il a décidé d'apprendre l'allemand et il va rencontrer une jeune Allemande aryenne, Lisa, qui est en fait professeur de gymnastique, infirmière au grade de commandant dans l'armée allemande. Elle va tomber amoureuse de lui. A cette période, les Allemands se sont emparés des Sudètes, et bien sûr les Tchèques détestent les Allemands ! Et comme il s'est entiché d'une allemande, il se voit perdre son emploi à l'hôtel. Mais une nouvelle place de garçon et de futur maître d'hôtel l'attend du côté de Cheb (une ville tchèque proche de la frontière allemande) où le père de Lisa est restaurateur !
Son amoureuse est fière de lui expliquer que la région de Cheb est réputée pour son air pur et ses stations thermales, et qu'elle héberge la 1re station européenne d'élevage eugénique de la race humaine ! Et c'est tout un pan de l'Histoire nazie qui défile entre les lignes…
Après avoir pu prouver son ascendance aryenne et germanique puisque son grand-père s'appelait Johann Ditie, et après être passé par une visite médicale devant un major SS et fait des analyses de son sperme, le narrateur est déclaré apte à se marier avec sa jeune amoureuse.
Néanmoins, plus tard, même une fois marié, il ne se sentira pas intégré parmi les officiers SS et de la Wehrmacht qui ont l'air de le considérer toujours comme un « péquenot » tchèque. Et il ne pourra pas s'empêcher lui-même de penser à ses compatriotes tchèques, qui sont alors fusillés par les pelotons d'exécution allemands à Prague, à Brno et dans les autres villes tombées sous la juridiction allemande. L'histoire du village martyr tchèque de Lidice va être évoquée, qui avait subi les représailles des Allemands après l'assassinat du Reichprotektor Heydrich.

Avec Lisa, notre narrateur aura un fils, qui malheureusement s'avèrera débile et devra être interné dans un asile d'enfants aliénés. Et puis l'Allemagne déclare la guerre à la Russie. Lisa mourra décapitée sous les bombes. Son mari va retrouver contre elle, sous son corps, une mallette contenant des timbres-poste de très grande valeur. Avec la vente de ces timbres, notre narrateur va faire construire un hôtel de grande classe, qui va attirer des gens fortunés !
Mais les feux de la bonne époque pour le narrateur devenu millionnaire vont bientôt s'éteindre, avec l'arrivée au pouvoir des communistes… En février, les échos du Coup de Prague, parviennent déjà en sourdine aux oreilles des millionnaires, et petit à petit, ces gens fortunés reçoivent une convocation de la part des autorités. Tous les droits de propriété vont désormais passer entre les mains du peuple.
Et là, Hrabal avec son imagination débordante a le don de transformer des situations affligeantes, en situations inversées, improbables ! le narrateur qui veut toujours et encore faire partie des personnes reconnues millionnaires, au lieu de conserver sa liberté, va se rendre au centre d'internement et se faire noter sur le listing, alors que son nom n'était pas mentionné ! Mais dans la prison dans laquelle il va se retrouver, il ne subira aucune brimade, loin de là ! le commandant du centre est « un bon bougre gentil comme tout. » Les millionnaires prisonniers n'y manquent de rien, mangent comme quatre à chaque repas, peuvent voir leurs épouses, et même les anciennes entraineuses de bar y vont être accueillies à bras ouverts ! « Au bout d'un mois, tous les internés étaient déjà bien bronzés puisqu'ils prenaient tout le temps des bains de soleil sur les côteaux du jardin. » C'est la vie de château ! C'est totalement baroque !

Les situations sont baroques et les lieux aussi. Ce centre d'internement que détient et utilise le pouvoir communiste, est un ancien institut d'études théologiques où trônent encore partout des crucifix et des tableaux de la vie de tous les saints ! Mais cette « période agréable que certains eussent aimé vivre à l'infini » va avoir une fin : le centre d'internement va être dissous. Un avis officiel de Prague laissait au narrateur le choix entre un internement à la prison de Pankrac (réputée pour ses sévices) ou l'engagement dans une brigade de travaux imposés. Et notre narrateur va choisir une affectation de cantonnier à l'entretien d'une route en pleine campagne loin de tout. Pour le narrateur, les félicitations, la considération d'autrui envers lui, vont devenir le cadet de ses soucis. Là, il n'a plus à se soucier de quelque statut que ce soit !

Ce roman est remarquable par son comique absurde, et avec sa verve burlesque, il est totalement jouissif. Et en même temps, son récit tragi-comique qui contient beaucoup de scènes extraordinaires, étonnantes, et irrévérencieuses, nous surprend ! le personnage du héros qui possède la faculté de traverser les cauchemars de l'Histoire sans cesser de rêver est original. C'est un personnage ambigu, à la psychologie dérangeante. Avec ce roman corrosif, Hrabal nous amène à méditer sur le sens à donner à notre existence humaine. A la fin du récit, quand le héros vieillissant se trouve isolé loin du monde, est-ce pour lui la paix, le renoncement, l'acceptation du destin ou bien le désespoir de la solitude et de l'abandon ? En tout cas il a enfin le temps de se retourner vers son étrange et absurde trajectoire de vie pour en faire le récit !

« Les gens du village avaient forcé la barrière de neige pour venir jusqu'à moi et la frayeur que je leur avais inspirée confirmait que j'étais décidément un spécimen rare, l'élève du maître d'Hôtel Skrivanek qui a servi le roi d'Angleterre ; et moi j'ai eu l'honneur de servir l'Empereur d'Ethiopie qui m'a distingué pour toujours en me décernant cette décoration, ainsi j'ai eu la force d'écrire pour les lecteurs cette histoire, d'inconcevable devenu réalité. »

Dommage que l'on ne puisse donner que cinq étoiles ! Ce véritable chef d'oeuvre de la littérature tchèque du XXe siècle en mérite bien davantage !
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Bonheur total de lecture.
Le style, il se mange, s'avale, impossible d'arrêter au milieu d'une page, c'est un fil tenu comme chez Proust ou Céline, avec, et c'est le deuxième bonheur, une formidable ironie, ni moralisatrice ni négative, une ironie gavée de vitalité tant dans le plaisir de l'instant que dans la confiance dans l'existence. Troisième bonheur, l'imagination de Bohumil Hrabal, magique, plusieurs passages de ce livre touchent à la poésie, j'en dévoile un seul, celui où la grand-mère récupère les sous-vêtements jetés par les voyageurs de commerce dans le bief d'un moulin avec une gaffe pour les revendre. L'apparition du Négus et de ses cuistots est un ravissement. Quatrième bonheur, celui des personnages, tous attachants, pourtant tous dotés de défauts grossis par l'ironie de Hrabal. le livre est court, 170 pages, quelques gros chapitres qui traversent l'histoire de l'Europe d'avant la 2e guerre mondiale à l'arrivée des communistes au pouvoir. L'histoire de ce groom peut aussi toucher par la philosophie de l'homme qui s'en dégage, sertie comme un diamant dans ce regard que le narrateur aux mains de Bohumil Hrabal a sur l'existence humaine. Un joyau.
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Une leçon d'histoire par le petit bout de la lorgnette ...Ce roman fut suffisamment dérangeant pour attirer les foudres de la censure du régime tchèque des années 70.
Ainsi, notre héros, serveur, observe et jouit de l'argent facilement gagné lors l'euphorie boursière des années 20, rencontre l'amour de sa vie avec une Allemande, au moment de l'annexion de la Tchécoslovaquie par l'Allemagne nazie, puis s'enrichit sans beaucoup de remords grâce à la spoliation de juifs de Lvov. Fier de sa réussite matérielle, il fait des pieds et des mains pour se faire enfermer dans la prison pour millionnaires ; cette dernière se révèle beaucoup plus confortable qu'à l'extérieur ... A sa sortie de prison, il opte pour un travail au fonds des bois, où il occupe seul avec quelques animaux une ferme abandonnée par une population allemande, dont le narrateur regrette le départ ... Sans en avoir l"air, et toujours avec une distanciation, dont on affuble souvent ses concitoyens tchèques, Hrabal égratigne le "politiquement correct" tchèque des années 60 et 70.
L'écriture de Hrabal est aussi belle que Prague : baroque mais limpide. L'amour des femmes (constante de l'écriture de Hrabal) et le goût pour le quotidien rendu fantastique (la description du repas durant lequel est servi un chameau farci, est un régal !) assaisonnent ce mets délicieux ...
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Livre jubilatoire. Enormément d'humour, où la dérision est très présente, avec ce personnage de parvenu qui gravit tous les échelons sans états d'âme ou presque. Une forte réflexion sur l'identité, la condition humaine, un hommage à Prague .
En dépit de toutes les questions soulevées, l'auteur ne se prend pas au sérieux et nous entraîne avec lui dans un fol tourbillon.
Ce livre est considéré comme un chef d'oeuvre dans la littérature tchèque contemporaine, et c'est une belle lecture, jubilatoire assurément, où l'esprit si absurde à Kafka n'est pas si loin.
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