Citations sur Han d'Islande (26)
La foule, plus émue que le condamné, le considérait avec une attention avide. L’éclat de son rang, l’horreur de son sort, éveillaient toutes les envies et toutes les pitiés. Chacun assistait à son châtiment sans s’expliquer son crime. Il y a au fond des hommes un sentiment étrange qui les pousse, ainsi qu’à des plaisirs, au spectacle des supplices. Ils cherchent avec un horrible empressement à saisir la pensée de la destruction sur les traits décomposés de celui qui va mourir, comme si quelque révélation du ciel ou de l’enfer devait apparaître, en ce moment solennel, dans les yeux du misérable ; comme pour voir quelle ombre jette l’aile de la mort planant sur une tête humaine ; comme pour examiner ce qui reste d’un homme quand l’espérance l’a quitté. Cet être, plein de force et de santé, qui se meut, qui respire, qui vit, et qui, dans un moment, cessera de se mouvoir, de respirer, de vivre, environné d’êtres pareils à lui, auxquels il n’a rien fait, qui le plaignent tous, et dont nul ne le secourra ; ce malheureux, mourant sans être moribond, courbé à la fois sous une puissance matérielle et sous un pouvoir invisible ; cette vie que la société n’a pu donner, et qu’elle prend avec appareil, toute cette cérémonie imposante du meurtre judiciaire, ébranlent vivement les imaginations. Condamnés tous à mort avec des sursis indéfinis, c’est pour nous un objet de curiosité étrange et douloureuse, que l’infortuné qui sait précisément à quelle heure son sursis doit être levé.
Qui ne s’est point arrêté cent fois durant les nuits pluvieuses sous quelque fenêtre à peine éclairée ? Qui n’a point passé et repassé devant une porte, erré avec délices autour d’une maison ? Qui ne s’est point brusquement détourné de son chemin pour suivre, le soir, dans les détours d’une rue déserte, une robe flottante, un voile blanc tout à coup reconnu dans l’ombre ? Celui qui ne connaît pas ces émotions peut dire qu’il n’a jamais aimé.
Le pauvre concierge fugitif avait échangé ses habits de cuir de renne, contre un vêtement noir complet, laissé jadis dans le Spladgest par un célèbre grammairien de Drontheim, qui s'était noyé du désespoir de n'avoir pu trouver pourquoi Jupiter donnait Jovis au génitif.
C’était en la sauvant d’un grand péril que Caroll avait enfin obtenu sa Lucy. Un jour il avait entendu des cris dans un bois ; c’était sa Lucy qu’un brigand, redouté de tous les montagnards, avait surprise et paraissait vouloir enlever. Caroll attaqua hardiment ce monstre à face humaine, auquel le singulier rugissement qu’il poussait comme une bête féroce avait fait donner le nom de Han. Oui, il attaqua celui que personne n’osait attaquer ; mais l’amour lui donnait des forces de lion. Il délivra sa bien-aimée Lucy, la rendit à son père, et le père la lui donna.
- Les mineurs sont des fous, repartit le pêcheur. Pour vivre, le poisson ne doit pas sortir de l’eau, l’homme ne doit pas entrer en terre.
Nos frères les mineurs se plaignaient de la tutelle royale, et cela était tout simple, n'est-ce pas, votre courtoisie ? Vous n'auriez qu'une hutte de boue et deux mauvaises peaux de renard, que vous ne seriez pas fâché d'en être le maître. Le gouvernement n'a pas écouté leurs prières. Alors, seigneur, ils ont songé à se révolter, et nous ont priés de les aider. Un si petit service ne se refuse pas entre frères qui récitent les mêmes oraisons et chôment les mêmes saints. Voilà tout.
[Scène de la vie familiale à la Tour-Maudite, demeure du bourreau de la province de Drontheim.]
- Qu'y a-t-il donc, qu'y a-t-il donc, mon père ? demandèrent les enfants, dont l'aîné jouait avec un chevalet tout sanglant, tandis que le plus jeune s'amusait à plumer vivant un petit oiseau qu'il avait pris à sa mère dans le nid même.
[...]
- Taisez-vous, enfants. Vous criez comme un coquin qui se dit innocent.
Cet être, plein de force et de santé, qui se meut, qui respire, qui vit, et qui, dans un moment, cessera de se mouvoir, de respirer, de vivre, environné d'êtres pareils à lui, auxquels il n'a rien fait, qui le plaignent tous, et dont nul ne le secourra ; ce malheureux, mourant sans être moribond, courbé à la fois sous une puissance matérielle et sous un pouvoir invisible; cette vie que la société n'a pu donner, et qu'elle prend avec appareil, toute cette cérémonie imposante du meurtre judiciaire, ébranlent vivement les imaginations. Condamnés tous à mort avec des sursis indéfinis, c'est pour nous un objet de curiosité étrange et douloureuse, que l'infortuné qui sait précisément à quelle heure son sursis doit être levé.
Bien des gens trouveront qu'il agissait follement; mais les âmes jeunes font ce qu'elles croient juste par instinct et non par calcul; et d'ailleurs, dans ce monde où la prudence est si aride et la sagesse si ironique qui nie que la générosité soit folie ?
Ah ! n’en doutons pas, à travers les temps et les espaces, les âmes ont quelquefois des correspondances mystérieuses. En vain le monde réel élève ses barrières entre deux êtres qui s’aiment ; habitants de la vie idéale, ils s’apparaissent dans l’absence, ils s’unissent dans la mort. Que peuvent en effet les séparations corporelles, les distances physiques sur deux cœurs liés invinciblement par une même pensée et un commun désir ? Le véritable amour peut souffrir, mais non mourir.