HERNANI
Dona Sol, mon amie !
Dites-moi, quand la nuit vous êtes endormie,
Calme, innocente et pure, et qu’un sommeil joyeux
Entrouvre votre bouche et du doigt clôt vos yeux,
Un ange vous dit-il combien vous êtes douce
Au malheureux que tout abandonne et repousse ?
HERNANI
Loué soit le sort doux et propice
Qui me mit cette fleur au bout du précipice !
Il se relève.
Vous êtes mon lion superbe et généreux
- Ah ! Le peuple ! - océan ! - onde sans cesse émue !
Ou l'on ne jette rien sans que tout ne remue !
Vague qui broie un trône et qui berce un tombeau !
Miroir ou rarement un roi se voit en beau !
Ambitieux de rien ! - Engeance intéressée
Comme à travers la notre ils suivent leur pensée !
Basse-cour ou le roi, mendié sans pudeur,
A tous ces affamés, émiette la grandeur !
Toi paisible et croissant comme une fleur à l'ombre
Moi ,heurté dans l'orage à des écueils sans nombre.
Tous ces jeunes oiseaux,
A l'aile vive et peinte, au langoureux ramage,
Ont un amour qui mue ainsi que leur plumage.
Les vieux, dont l'âge éteint la voix et les couleurs,
Ont l'aile plus fidèle, et moins beaux, sont meilleurs.
Nous aimons bien. Nos pas sont lourds? nos yeux arides?
Nous fronts ridés? Au coeur on n'a jamais de rides.
Hélas! quand un vieillard aime, il faut l'épargner.
Le coeur est toujours jeune et peut toujours saigner.
Celui dont le front saigne a meilleure mémoire.
L’affront que l’offenseur oublie en insensé
Vit, et toujours remue au cœur de l’offensé.
Un noir complot prospère à l’air des catacombes.
Il est bon d’aiguiser les stylets sur des tombes.
On n’a point de galants lorsqu’on est doña Sol,
Et qu’on a dans le cœur du bon sang espagnol.