Après l'interdiction de
Marion de Lorme pendant l'été 1829,
Victor Hugo est contraint de chercher un autre sujet pour la pièce qu'il compte donner au Théâtre Français. Il choisit un sujet espagnol, à priori plus facile à faire accepter au censeur, ce sera
Hernani, créé en février 1830. La pièce évoque avant tout la fameuse « bataille », l'affrontement entre les tenants du classicisme et les jeunes défenseurs du romantisme : la
Comédie Française, le théâtre le plus prestigieux, et son public, étaient réputés peu favorables au nouvel mouvement.
Hernani est souvent présenté comme le moment décisif, où tout bascule, où une nouvelle esthétique triomphe balayant l'ancienne.
Les choses sont en réalité beaucoup plus complexes, l'importance de la création d'
Hernani a été amplifiée par les protagonistes et érigée au rang d'un mythe, l'opposition entre le
théâtre romantique et classique a été également en partie exagérée, en ce qui concerne la production théâtrale de
Victor Hugo et d'
Hernani en particulier.
La reconnaissance du
théâtre romantique a débuté avant
Hernani : le
théâtre romantique étaient déjà bien installé sur une partie de scènes parisiennes, et il y avait déjà eu la création de Henri III et sa cour de Dumas à la
Comédie Française même. Par ailleurs, la création d'
Hernani n'a en aucun cas mis un terme au théâtre classique, qui continuait à être bien plus joué à la
Comédie Française tout au moins, que le drame romantique.
Hernani est une étape, dont l'importance a été sans doute exagérée, devenant une sorte de symbole à posteriori.
La différence irréductible entre le drame romantique et le théâtre classique a été également artificiellement accentuée.
Victor Hugo était un grand admirateur de
Molière et de
Corneille, et beaucoup de choses dans
Hernani font penser à
Corneille. le sujet espagnol évoque
le Cid, qui avait déjà donné lieu à une querelle fameuse. La clémence de Charles Quint n'est pas sans faire penser à
Cinna, et les retournements de situations étaient une des grandes spécialités de l'auteur de
Horace.
Hernani est écrit en alexandrins, et de nombreux effets stylistiques rappellent le modèle cornélien. Si chaque acte d'
Hernani se passe dans un lieu différent, à l'intérieur de chaque acte on retrouve l'unité de lieu et d'action qui était censée caractériser le théâtre classique. Malgré certaines déclarations d'intention, l'auteur de
Hernani connaît ses classiques sur le bout des doigts et en reste imprégné lorsqu'il écrit, même si son oeuvre appartient à une esthétique différente.
Une des grandes sources d'inspiration de Hugo, au-delà des sources espagnoles, aura été le mélodrame, genre à la mode, et fréquenté par un public plus populaire. Genre qui recherche le spectaculaire et le pathétique, au détriment du vraisemblable.
Au premier acte, intitulé le Roi, nous sommes à Saragosse, dans la chambre de Dona Sol. Celle-ci attend son amant. Mais la duègne fait entrer par erreur un autre homme, qui la menace, et qu'elle dissimule dans une armoire. Arrive
Hernani, l'amant de dona Sol, qui accepte de tout quitter pour lui. Don Carlos, l'homme caché, surgit, et déclare son amour pour Dona Sol. Un duel commence, interrompu par l'arrivée de Don Ruy Gomez, oncle et fiancé de Dona Sol. Ce dernier a une réaction très vive en découvrant les deux hommes dans la chambre de sa nièce et fiancée. Mais Don Carlos se fait connaître : il est le roi d'Espagne, et prétend être venu pour demander conseil à Don Ruy, au moment où il a des chances d'être élu empereur. Cela permet de calmer le vieil Don Ruy et les deux rivaux peuvent partir.
Le deuxième acte s'intitule le bandit et se passe devant la maison de Don Ruy. Don Carlos a entendu les détails sur le projet de fuite des deux amoureux, et prétend venir avant
Hernani pour enlever Dona Sol. Cette dernière sort, mais résiste à Don Carlos. Survient
Hernani avec des bandits dont il est le chef. Don Carlos refuse de se battre en duel avec lui, prêt à se laisser assassiner plutôt que roi croiser le fer avec un bandit.
Hernani le laisse partir, et compte tenu des menaces de Don Carlos, se refuse d'emmener Dona Sol.
Au troisième acte, le vieillard, nous sommes au château de Don Ruy, en
Aragon. le mariage avec Dona Sol doit avoir lieu. Mais surgit un pèlerin qui demande l'hospitalité. Il s'agit de
Hernani aux abois, poursuivi par les sbires du roi. Don Ruy l'accueille en ignorant son identité. Il le cache lorsque survient Don Carlos et refuse de le livrer. le roi amène Dona Sol en otage.
Hernani qui sort apprend à Don Ruy l'amour du roi pour Dona Sol. Redevable de la vie à Don Ruy, il lui promet de se laisser tuer à n'importe quel moment, mais demande de poursuivre Don Carlos pour lui arracher Dona Sol. Il remet en gage son cor à Don Ruy.
Au quatrième acte, le tombeau, Don Carlos attend le résultat de l'élection de l'empereur au tombeau de Charlemagne. Il a connaissance d'un complot contre lui. Devenu empereur, il fait arrêter les conjurés, parmi lesquels
Hernani et Don Ruy.
Hernani révèle son identité de prince. Don Carlos, devenu Charles Quint pardonne, et permet le mariage d'
Hernani avec Dona Sol.
Au cinquième acte, La noce, le mariage vient d'avoir lieu. Mais le cor résonne, Don Ruy vient réclamer la vie d'
Hernani. Dona Sol boit le poisson avant lui, les deux jeunes mariés meurent , et le vieillard n'a plus qu'à les suivre dans la tombe.
Pièce spectaculaire, pleine de bruit et de fureur, difficile à jouer (le monologue de Don Carlos au quatrième acte dure environ 16 minutes), un tant soit peu chargée, elle frappe avant tout par la qualité du vers (« le vers est la forme optique de la pensée » écrivait Hugo).
Hernani est un héros ambigu, immature, qui n'arrive pas à se dégager d'une idéologie de l'honneur mortifère et suicidaire. Au final, les autres personnages sont presque plus intéressants, Don Ruy, vieillard pathétique et terrible dans son amour hors propos, Don Carlos transfiguré par son changement de statut, Dona Sol frémissante et rayonnante. D'autres pièces de Hugo seront ensuite plus convaincantes en étant peut-être moins démonstratives, mais un souffle épique et une façon de dire insolente et plein de maestria fait de
Hernani une belle oeuvre.