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Critique de JeffreyLeePierre


Paru en 1919, ce livre est en avance sur son temps. Bien avant le début de la Nouvelle histoire (pour situer, 1919, c'est l'année de naissance de Georges Duby), il s'attache à faire une histoire des mentalités aux XIVème et XVème siècles, quand la fin du Moyen-âge s'entrelace avec le début de la Renaissance.

Parce que l'intention de l'auteur, c'est de montrer que la Renaissance est loin de la rupture présentée par ses prédécesseurs, dont l'incontournable Jules Michelet. Et pour ce faire, il va puiser à toutes les sources disponibles : les arts plastiques, la littérature, les écrits philosophiques, énormément de chroniques, quelques éléments notariés ou d'état civil…
Ce faisant, il se perd un peu en chemin, oublie parfois son objectif initial pour s'abîmer dans son étude des mentalités du Moyen-âge. Et ce n'est pas dommage, parce qu'il est passionné par son sujet et nous transmet cette passion pour cette époque « primitive » parce que si contrastée.
Néerlandais, Johan Huizinga s'intéresse aux deux grands ensembles rivaux que sont alors le duché de Bourgogne, qui va de la Bourgogne aux Pays-Bas en passant par la Champagne et la Belgique, et le royaume de France, celui de Charles VI à Louis XI, où le fier hexagone d'aujourd'hui est tout rogné à l'ouest et nord-ouest par les possessions anglaises consécutives à la Guerre de Cent Ans, et à l'est par ce duché de Bourgogne. Dont les monarques sont tous des cousins, les Valois.
Une société figée, lourde jusque dans ses vêtements d'apparat ou blasons trop chargés.

Époque contrastée donc.
Contraste entre des conditions de vie très rudes, aggravées par les exactions induites par les guerres, où la vie se trouve brutalement interrompue par la maladie ou la mort, et la joie de vivre qui se manifeste bruyamment à la moindre occasion festive. Une part non négligeable de ces occasions sont les entrées des souverains dans les villes de leurs territoires, donnant lieu à des festivités qui sont chroniquées et procurent ainsi à l'historien autant de détails sur la vie des petites gens.
Contraste entre l'omniprésence de la religion et l'irrespect, voire les blasphèmes, que génère cette proximité, sans vraiment penser à mal.
Dans ce domaine, contraste entre les développements complexes des écrits dogmatiques et les sujets d'adoration populaire encore emprunts de paganisme primitif. L'Église si prompte à pourchasser brutalement les hérésies laisse avec bonhommie passer ces coutumes populaires. Et sait le justifier.
Contraste encore entre les idéaux chevaleresques, y compris les développements insensés de l'amour courtois ou de l'honneur des gentilshommes, et la trivialité de la vie réelle. Décalage dont les gens ne sont pas dupes et rient grassement.

La pensée du Moyen-âge est empreinte de néo-platonisme, de catégories idéales hiérarchisées, et remplace le raisonnement de causalité par celui des analogies, qui s'écrivent généralement sous forme d'allégories.
On découvre alors ces énumérations invraisemblables, où la multitude est censée renforcer le pouvoir de conviction. La littérature du Moyen-âge, notamment le fameux Roman de la Rose, se perd dans un fatras de détails et d'allégories. Huizinga explique cette lourdeur des écrits de toutes sortes, même s'il est visiblement admiratif (et soulagé) des brusques traits de simplicité et de réalisme chez quelques chroniqueurs ou par le bain de jouvence qu'est François Villon.
Ce mode de pensée est en revanche source de merveilles en peinture. Il faut regarder les oeuvres de la fin du Moyen-âge au-delà de la représentation très convenue, parce que devenue très codifiée, du sujet principal. Là, le goût de l'énumération se traduit par un luxe de détails représentés avec un réalisme fantastique, notamment chez van Eyck, que l'auteur apprécie énormément.

La nouveauté de la Renaissance sera de savoir simplifier, synthétiser, permettre une vision d'ensemble. Bien davantage que de revenir aux thèmes et personnages classiques antiques, qui n'avaient jamais totalement disparus.
Évidemment, Huizinga relève des aspects renaissants antérieurs à la fin du XVème siècle et, inversement, des aspects moyenâgeux bien postérieurs. S'il ne nie pas la nouveauté, il la replace comme une évolution plutôt qu'une rupture.

Ce livre est finalement un formidable voyage dans une époque de déclin certes, où les idéaux nés au XIIème et XIIIème siècles sont affadis par la somme des gloses et codifications, mais qui recèle pourtant des merveilles d'ingénuité, de beauté et d'ironie, parfois d'une modernité surprenante.

Petit avertissement : ce livre n'est malheureusement pas si facile à lire, parce qu'il contient beaucoup de citations en français de l'époque et quelques unes en latin, très rarement traduites. Mais il vaut largement l'effort.
Et petit bémol : de trop nombreuses coquilles émaillent cette édition de la Petite Bibliothèque Payot.
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