Citations sur Un chien à ma table (207)
"Depuis, j'ai un trou à la place du coeur, et mon corps, lui, ne veut plus rien entendre, tandis qu'autour de nous, le monde continue sa course vers le pire. De temps en temps, assise à ma table, je murmure son nom.
On peut très bien écrire avec des larmes dans les yeux."
Une salamandre étale sous mes yeux le rébus du monde. Chaque salamandre porte un code jaune et noir inscrit sur sa peau mouillée, luisante, chacune le sien. On dirait le plan d’un labyrinthe. Chaque salamandre, gardienne d’un labyrinthe.
Est-ce que j’allais enfin me mettre au travail ? Écrire, ça demande un second temps parallèle au premier. Être au monde intensément, tout en n’y étant plus. Être vivante et morte.
Je la voyais cette tombe (Tolstoï à Iasnaïa Polania), j'en avais aussi une photo, laquelle s'était tatouée dans mon cerveau avec les autres.(..)cette nuit là, j'ai vu l'âme de Tolstoï sortir de sa tombe, c'était l'hiver-"que les loups se vivent de vent" ; je voyais cette âme de loup aux yeux brillant de convoitise, aux yeux de faim de loup, cette âme ayant aboli le servage des paysans, prête à abolir celui des fleuves et des forêts, mais rien vu de l'infini servage de Sophie, sa femme. Treize enfants.
Le présent nous portait, puissant, organique, batailleur, coloré. Des faits, des faits, rien que des faits. Des actions. Nous épuisés.
Nus également fous, enfantins, inconscients, perdus dans le cosmos, c'est à dire juste dans le paysage qui s'ouvre à la nuit au dessus de la maison, à des milliards d'années. Nous, enchantés. vastes.
On est au Paradis. On est sur la planète Terre, ce qui est nettement plus intéressant.Y sommes-nous au dessus du reste des vivants ? Ou dépendons-nous les uns des autres, imbriqués les uns aux autres, y compris aux créatures les plus à vomir, mais autant que les autres nécessaires? Mes soeurs les tiques. De la nature, on ne peut pas seulement s'émerveiller. L'horreur qu'elle nous inspire a son importance.
S'il avait été encore en vie, Tolstoï défendrait les rivières, les forêts, les prairies, comme autant de personnes, esclaves du capital, exténuées, mourantes sous le joug des humains.
J’avais noté comme une maxime : L’écriture peut naître d’une révolte, devenir un engagement, être une protestation.
J'ai alors pensé à la bauge, en bas de la prairie, là où c'est mouillé, toujours un peu mouillé, là ou je me rendais rien que pour respirer le parfum noir de sa boue de velours. De moire. C'est à respirer son parfum que les mots me viendront, voilà ce que je me suis dit. Il y a devant moi, quelque chose à atteindre encore, je le sais à mon coeur, encore lui, au réveil, il bat plus vite et je le sais au plaisir âpre que je devine et qui m'attire là-bas, plus loin, au bout, tout près. Oui, ça et rien d'autre. Une nouvelle équipée. Avec mon corps. Avec ce qui reste de mon corps. Avec ce qui reste de la forêt. Mon corps et la forêt. Nos corps usés, troués. Entre leurs accrocs, leurs ellipses, il reste de petits cosmos.
La fenêtre était ouverte.
On n'avait pas de voisins.
Grand silence.
La nuit immense.
Je me suis demandé, avant de m'endormir pour de bon, à la fin de cette journée de mon retour qui avait coïncidé avec celui de Yes, ce que j'aimais plus que tout. J'ai compté.
La liberté.
Grieg.
Yes
Mes Buffalo.
Notre abri dans le chaos.