Elle tenta d'imaginer le lointain carnage, la destruction, l'horreur, les terribles souffrances et les morts inutiles. Et la peur, la colère devant son impuissance l'envahirent. Puis leur succéda un sentiment de culpabilité, tout aussi impuissant, à l'idée de sa propre situation qui, par comparaison, était si exempte de danger. Il ne se passait pas un jour où elle ne reconnût la chance qu'elle avait d'être ici, dans un endroit à peine touché par la guerre, mais il ne se passait pas, non plus, un jour, où elle ne se demandait pas si elle ne devrait pas se porter volontaire pour une activité moins protégée. Ne devrait-elle pas rejoindre la Croix-Rouge ou conduire une ambulance dans le Blitz plutôt que de traire des vaches ou de se gaver des ragoûts que Mrs Lawrence leur servait ponctuellement ? Son courage n'aurait-il pas l'occasion de s'exercer ? Et pourtant, pendant que les hommes combattaient, le travail des femmes, à la ferme, était vital : elle avait choisi ce travail et elle l'aimait. Mais quand on apprenait des nouvelles désastreuses, Ag était torturée par l'idée qu'elle devrait aider les blessés plutôt que balayer une cour tranquille ou soigner les moutons.
Quand les autres rentrèrent déjeuner, ils la trouvèrent pétrissant un gros morceau de pâte à pain sur la table de la cuisine. Ils s'étonnèrent de la vigueur de son martèlement, mais ne firent aucun commentaire. La première miche d'Ag, qui plus tard leva merveilleusement bien dans le four, était pleine de la stupidité de la race humaine, de l'absurdité de la guerre, de l'impuissance d'un individu dans son genre à permettre au monde de retrouver la raison.
Le changement,observa-t-il,touchait tout.Ce que les poètes et auteurs de chansons d'amour étaient chargés de transmettre -par leur génie ou par des dons moins remarquables-en mots codés que seuls pouvaient déchiffrer ceux qui étaient amoureux,c'était cette transfigurationdu monde.
Ag s'assit au bord de son lit et roula ses bas. Elle portait une chemise de nuit en flanelle, au corsage volanté de dentelles, et des pantoufles. Çà fait très grand-mère, se dit Prue en laissant glisser ses propre mules de velours rose avec leurs pompons de duvet de cygne assortis.
Je suis si désespérément romantique que la seule idée de l'amour me suffit presque, bien que je sache, au fond de mon coeur, que l'essentiel n'est que chimères et que je serai déçue. Je le suis presque toujours.
trouvez-vous le travail a la ferme pénible ?demanda Mr Lawrence.
J'ai des courbatures. Nous en avons toutes les trois. Mais nous l'aimons bien.
Bon, bon. En tous cas, c'est un travail sain. Quand a la guerre...Ce matin, ils ont dit à la radio que la nuit avait été terrible sur Londres. Les pauvres.
Nous avons de la chance d'être ici. On s'en rend à peine compte.
Le seul danger, ce sont ces bougres d'Allemands qui lâchent leurs bombes en rentrant chez eux. C'est arrivé a moins de vingt miles d'ici, avant votre arrivée. La moitié d'un village a été écrasée et il y a eu deux morts.
Je t'aime: c'est le vers le plus difficile à dire.
Attendre, attendre:c'est une sorte de cancer.Cela vous transforme.
On a des excuses à mentir, quand c'est pour protéger ceux qu'on aime.
Elle devait faire attention à bien choisir ses mots pour l'encourager à se presser juste un peu, sans pour autant l'inquiéter 'Mon cher Joe ...', commença t-elle.
L'Angleterre était devenue un endroit mystérieux où il fallait repérer des indices et deviner où on se trouvait. Mais cela mis à part, ici, comme dans le Dorset, la seule chose qui prouvait qu'il y avait la guerre, c'était les femmes qui travaillaient dans les champs.