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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Le présent ouvrage a pour objet l'analyse comparative de l'idéal-type de la relation afférant à la conjugalité (hétérosexuelle, monogame, occidentale surtout anglo-saxonne et basée principalement sur une perspective féminine) dans la modernité tardive par rapport à l'époque pré-moderne (XIXe siècle avec quelques aperçus précédents) ; cet idéal-type se développe (ou est imposé) culturellement, par la littérature et l'épistolaire jadis, associé à l'image et aux technologies informatiques à présent, au sein de la classe dominante, la moyenne et haute bourgeoisie (masculine).
Sa thèse fondamentale consiste à établir, dans le passage entre les deux modèles, la primauté des déterminants sociologiques – les conditions économiques et sociales de la société – vis-à-vis de la lecture psychologique ou psychanalytique qui focalisent l'interprétation de l'amour sur l'individu ou sur son inconscient (respectivement), puis vis-à-vis de l'épigone de cette lecture, représenté par « l'industrie du self-help » ou développement personnel, vis-à-vis d'un certain féminisme qui aurait fait du recul du patriarcat et de la révolution sexuelle des gages de bonheur et d'épanouissement, enfin vis-à-vis des réductionnismes biologique et neuroscientifique. « Le fait que nous soyons des entités psychologiques […] est un lui-même un fait sociologique. » (p. 31)

Dans cette perspective, la modernité a apporté des changements dans « l'écologie » du milieu des possibilités conjugales, ainsi que dans « l'architecture du choix » du partenaire jusque là inouïs, fondés sur une incomparable liberté personnelle, sur une relative égalité entre les genres (mais au prix d'une inégalité individuelle accrue), sur la quête de la satisfaction sexuelle, sur une rationalisation des critères du choix (malgré la marchandisation de ceux-ci), sur une considération toute nouvelle de l'introspection propre et réciproque (en dépit d'une ontologisation de la personnalité et des sentiments), sur des variables inédites comme l'autonomie et l'engagement asymétrique, enfin sur le phénomène original de la demande de reconnaissance du moi par l'amour. Ces « avancés », dont la valeur n'est point remise en question, n'ont toutefois pas provoqué le bonheur amoureux ; à maints égards, et pour des raisons qui leur sont propres et consubstantielles, elles justifient même un nouveau malheur amoureux, de nouvelles formes de domination, l'approfondissement d'anciennes et de récentes inégalités et injustices. À ce propos, les résultats présentent d'étonnantes analogies avec les phénomènes liés à la libéralisation du marché capitaliste (référence est faite à Zygmund Bauman et à Bourdieu) et le consumérisme sévit d'une façon bien décrite dans le « champ sexuel », là où le choix amoureux – « comme notion conscientisée, réflexive » – prend les formes de la consommation économique.

Thèmes principaux :
La transformation de l'écologie et de l'architecture du choix
due à « des raisons normatives (la révolution sexuelle), sociales (l'affaiblissement de l'endogamie de classe […]), et technologiques (l'apparition de l'Internet et des sites de rencontre) » ;
l'élargissement considérable du choix des partenaires sur un champ indéfiniment ouvert rend le processus plus long et plus complexe, susceptible de réévaluation constante et sujet au calcul des chances d'opérer un meilleur choix ;
il transforme aussi la nature du désir et de la volonté.

L'apparition de champs sexuels
mise en compétition permanente des acteurs et travail incessant d'évaluation de soi et des autres en fonction de leur capital sexuel ;
asymétrie de genre entre la durée de la permanence dans le champ sexuel vs marché matrimonial, laquelle est liée à l'impératif de la reproduction [idée que je conteste] ;
influence du marketing et de l'industrie culturelle dans les critères d'évaluation ;
sexualité cumulative [je dirais plutôt « sérielle »] et détachement de l'affectif et/ou stratégies contradictoires d'attachement et de détachement et leur influence sur la dynamique des rapports ;
phobie de l'engagement (spécifiquement masculine) [idée que je conteste] ;

De nouveaux modes de reconnaissance du moi
dus à l'évolution et la précarisation du statut social provoquant des vulnérabilités accrues dans l'estime de soi, donc « sexualité hypertrophiée » car « transformée en statut » (p. 127) ;
la réussite dans le champ sexuel, et plus particulièrement la contradiction entre autonomie et engagement, ainsi qu'entre attachement et détachement influent sur l'amour de soi, et sa carence entraîne un processus d'auto-accusation ;
« la littérature prolifique consacrée à Mars et à Vénus [... dissimule] une réorganisation des différences de genre autour de l'amour comme source de sentiment de sa valeur (sociale et personnelle) pour les femmes ou du capital sexuel pour les hommes » (p. 376)

L'affaiblissement du désir et le manque de volonté
« L'ironie, la phobie de l'engagement, l'ambivalence, la désillusion […] constituent les composantes principales de ce que j'ai appelé la déstructuration de la volonté et du désir, conduisant de la formation de liens intenses à une froide individualité. Ces quatre composantes expriment la difficulté de s'engager totalement dans le désir de l'autre […] et, plus généralement, un refroidissement de la passion. » (p. 376) ;
très intéressante analyse conclusive (ch. V : « Du fantasme romantique à la désillusion ») de l'évolution de la conceptualisation de l'imagination par rapport au réel (presque un essai autonome), dans le passage entre la littérature et l'Internet : on parvient à la notion très intéressante de « désir autotélique » (i.e. le désir POUR le désir, et le désir DU désir – presque un bouclage de la boucle par rapport à la conception platonicienne de l'amour) [considération mienne propre].

Cette lecture est ardue, truffée de références très hétéroclites, non seulement sociologiques et philosophiques mais allant de la littérature aux entretiens, des blogs aux petites annonces et aux réponses aux lecteurs du New York Times. J'approuve entièrement l'usage du corpus littéraire dans un travail de sociologie culturelle, émettant toutefois la réserve qu'il aurait été plus opportun d'éviter les classiques du XIXe siècle, Jane Austen, Balzac, etc., en leur préférant des auteurs de moindre valeur artistique, donc plus fidèles à l'air du temps et au discours moyen, ne serait-ce que par symétrie avec les sources contemporaines utilisées. Je salue le souci constant de déculpabiliser les amoureux malheureux, contrairement à la démarche psychologique et mercantile américaine (merci à la psychanalyse européenne de nous en épargner aussi).
À certains moments, j'ai eu l'impression que l'effort démonstratif déployé était disproportionné par rapport au consensus autour de la thèse à défendre, provoquant une lourdeur aussi pénible qu'inutile. Je regrette aussi l'absence d'une bibliographie finale, du moment que retrouver une référence dans la pléthore des notes de bas de page s'avère extrêmement difficile.

Par contre j'émets trois critiques très fondamentales sur des questions de fond :

1/sur un aspect de l'asymétrie de genre :
« L'une des principales thèses de ce livre est d'une grande simplicité : les hommes disposent aujourd'hui d'un choix sexuel et émotionnel bien plus grand que les femmes, et c'est ce déséquilibre qui crée une domination affective » (p. 372).
Or, sans essayer de retracer toute une argumentation qui occupe plus de 80 p. soit la totalité du ch. II, il me semble que l'idée peut se résumer à une présence plus longue des hommes que des femmes sur le marché sexuel, et à une moindre perte de valeur sexuelle liée à l'âge chez les premiers : dans ces conditions, l'abondance masculine en nombre et en valeur serait supérieure à tout instant donné, et selon la loi de la demande et de l'offre...
2/ l'aspect culturel est insuffisamment traité : par ex. je sais que, dans le droit américain, la notion de divorce pour faute est encore très prégnante, de sorte que les conséquences financières d'un divorce sont désastreuses pour la partie jugée « fautive » (souvent l'homme), et cela a sans doute des conséquences énormes sur l'engagement matrimonial ; cette situation juridique est absente en Europe.
3/ la primauté (éventuelle) de l'approche sociologique ne peut être que complémentaire par rapport aux autres, dénigrées, et à celles, philosophique et politique, évoquées en filigrane :
« Si le choix est le propre de l'individu moderne, savoir comment et pourquoi les gens choisissent – ou non – de vivre une relation est essentiel pour comprendre l'amour comme expérience de la modernité. » (p. 38). Certes. Encore faut-il aussi savoir, au moins sur un plan personnel, QUI l'on choisit, ne serait-ce que pour tenir compte de tous ceux qui, en dépit de tous les déterminants sociologiques, s'avèrent NE PAS être malheureux en amour.
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Eva Illouz nous invite à penser l'évolution du sentiment amoureux dans la modernité. Pourquoi continuons nous de souffrir en amour alors que les obstacles dus à la classe ou à la famille ont aujourd'hui presque disparus ? Nous pourrions a priori désirer et s'engager avec qui nous voulons dans les conditions que nous voulons... Ce livre suggère que l'organisation sociale de la souffrance amoureuse a profondément changé et se propose de comprendre la nature de cette transformation à travers l'étude de trois changement intervenus dans la structure du moi: La dérégulation normative du mode d'évaluation des partenaires potentiels (hors des normes de groupes et des cadres communs), une tendance croissante à envisager le partenaire sexuel et amoureux simultanément en termes psychologiques et sexuels, et l'apparition de champs sexuels, le fait que la sexualité joue en tant que telle un rôle de plus en plus important dans la compétition entre acteurs sur le marché du mariage.

Elle explique aussi d'où vient cette souffrance psychique, à la fois influencée par les idéaux et les attentes et par notre incapacité à lui donner sens.



L'autrice définit la modernité et en quoi elle a pu perturber les échanges entre les individus. Elle s'appuie sur les oeuvres célèbres de Jane Austen pour expliquer l'évolution du principe matrimonial, à cette époque régit par des considérations de classe plus que par le désir brut. Aujourd'hui l'engagement ne précède pas mais succède aux émotions éprouvées par le sujet, émotions qui devient la motivation de l'engagement. C'est ainsi que toutes nos interrogations prennent vie. Un régime d'authenticité émotionnelle envahit les rapports amoureux modernes, l'authenticité exige des acteurs qu'ils connaissent et agissent selon leurs sentiments pour en faire les piliers de leur relation. L'intensité et l'irrationalité des sentiments deviennent un indice de l'authenticité.



Un autre parti pris de cet ouvrage consiste a traiter de la condition amoureuse plus nettement du point de vue des femmes et plus particulièrement celles qui optent pour le mariage, la procréation et les modes de vie de classes moyennes.

La sociologue parle aussi de féminisme car elle reconnait que le libre marché des rencontres sexuelles ainsi que les aspirations et positionnements des femmes sur ce marché contribuent à la création de nouvelles formes de domination affective des femmes pour les hommes.

Eva Illouz n'ignore pas non plus que la liberté sexuelle et affective a produit ses propres formes de souffrances. En effet elle ne diffère pas de la liberté économique en ce qu'elle organise, encadre et légitime des inégalités.



Un ouvrage très complet et absolument passionnant.

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Un essai très difficile d'accès (et mal traduit soit-dit en passant) mais criant de pertinence. Dans L'Amour fait mal, Eva Illouz choisit d'étudier l'amour en tant qu'objet sociologique. Elle remet alors notamment en question la libérté sexuelle qui selon elle sert le capitalisme et anihile les femmes en tant que personnes morales pour mieux assoir une nouvelle forme de domination masculine : la domination affective qui s'exprime dans la cruelle "peur de l'engagement". Bref, enfin une explication sociologique complète et approfondie des souffrances vécues par de nombreuses femmes dans les relations amoureuses modernes.
Lien : https://tomtomlatomate.wordp..
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Une véritable révélation. Derrière un titre un peu facile qui reprend le code des livres de développement personnel qu'elle critique tant, Eva Illouz nous propose une analyse très riche et une démarche sociologique originale en se penchant sur les sentiments amoureux. Elle les analyse dès lors non seulement comme des expériences individuelles mais aussi comme un phénomène social qui s'éclaire, se comprend et illustre la manière dont le capitalisme, le libéralisme et l'individualisme ont transformé nos pratiques et nos expériences amoureuses. Loin d'idéaliser l'amour pré-moderne et moderne, elle critique avec courage les effets négatifs de la toute libéralisation sexuelle et la manière dont elle participe au libéralisme économique
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Je me suis décidée à lire cette sociologue franco-israelienne grâce aux BD de Liv Strömquist qui la cite abondamment ! J'ai voulu aller à la source...
Directrice d'études à l'EHESS, elle est sociologue des sentiments et de la culture. J'aime que l'amour soit abordé dans un cadre sociologique, et pas seulement psychologique ou biologique (avec des explications naturalisant tout comportement d'une façon abusive). La thèse de ce livre : la souffrance affective a des caractéristiques propres à la modernité.

Auparavant la réussite d'un mariage ne tenait pas au lien affectif, mais cela a changé. À l'époque moderne, hédoniste et marquée par une culture de la consommation, les critères de choix du ou de la partenaire sont démultipliés. Ce choix rend paradoxalement les choses + compliquées. La recherche de ce•tte partenaire se calque sur l'économie de marché (accumulation d'attributs sociaux, psychologiques, sexuels...).
Alors que la liberté sexuelle semble possible pour toutes et tous, les inégalités de genre persistent, à cause du contexte patriarcal. Des femmes sont encore dépendantes du mariage pour leur survie économique (alors qu'il apporte + paradoxalement de bénéfices aux hommes...) ; et la phobie de l'engagement concerne surtout les hommes qui dominent le champ sexuel. L'autrice rappelle que les femmes doivent trouver des stratégies pour se protéger contre le viol, ont la procréation comme impératif social encore très marqué, que les critères comme la jeunesse sont plus contraignants pour elles, etc...
Majoritairement les hommes recherchent du sexe, et les femmes de l'affection, mais ça n'a rien de biologique : dans le patriarcat, les femmes restent subordonnées au mariage et à la procréation. Les sexualités des hommes et des femmes sont liées à leur pouvoir social.

Aujourd'hui l'amour est désenchanté, c'est le détachement et l'ironie qui le caractérisent (je lis en parallèle "Normal people", un roman qui l'illustrz super bien !) La rationalisation des liens intimes est renforcée par les moyens technologiques : gestion d'un flux de rencontres par le web, mesure et compétitivité, recherche de profils avec une liste d'attributs...

L'imagination a un rôle important dans cette analyse sociologique de l'amour: ce sont par des fictions (séries, livres, films etc.) que sont façonnées nos émotions, nos attentes, et que des scénarios sont construits. Les médias, les réseaux sociaux nous font rêver à une intensité émotionnelle qu'on ne trouve pas forcément au quotidien; la souffrance amoureuse découle alors de désillusions. J'ai beaucoup aimé cette réflexion sur le pouvoir de la fiction.

Elle clôture avec un appel à un retour de l'éthique dans les relations sexuelles et affectives, pour que liberté et éthique fonctionnent en tandem.

Le problème est dans la méthode. Pas d'étude, mais des sources diverses : quelques interviews de personnes occidentales hétéro de catégorie plutôt aisée (du coup les analyses reflètent ce biais), mais aussi romans d'amour et manuels de conseils et de développement personnel, articles sur le web... Eva Illouz développe une pensée critique brillante, mais la rigueur de la méthode me retient d'être à 100% transportée. Mais j'ai quand même adoré ma lecture.
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