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Critique de Osmanthe


Asunaro, publié en 1953, est un des premiers romans de Yasushi Inoue, dont la célébrité était arrivée soudainement en 1949 avec sa nouvelle le fusil de chasse. le roman narre la vie, de l'âge de 13 ans jusqu'à la quarantaine, d'Ayuta Kaji. le roman prend fin en 1946, dans les mois qui suivent l'anéantissement de la puissance militaire japonaise.

Asunaro est un terme qui revient régulièrement au cours du roman, comme une vieille rengaine. Il désigne un arbre endémique du Japon, de la famille du thuya bien commun dans nos contrées. Selon la tradition populaire japonaise, l'Asunaro se dit tous les jours « Demain je serai un cèdre ». Inoue a réfléchi au sort de l'être humain, souvent plein d'espoirs et d'ambitions, et dont peu de ses représentants finalement se démarquent vraiment par la célébrité ou du moins par une existence particulièrement remarquable. En quelque sorte, beaucoup d'entre nous sommes des asunaro !

L'adolescent puis le jeune homme Ayuta est une sorte d'anti-héros, sans grand charisme, avis ou vision nette de ce qu'il veut faire de sa vie. Il n'est pas particulièrement persévérant dans ses études, ne sait pas tellement quel métier exercer, et il apparaît bien impressionnable et indécis avec les femmes.

Son père changeant souvent d'affectation professionnelle, Ayuta déménage beaucoup et ne vit que peu avec ses parents. le premier choc de sa vie intervient à l'âge de 13 ans. Il est élevé par sa grand-mère, en compagnie de la nièce de celle-ci, Saeko. Alors qu'il a joué le facteur entre elle et son amoureux, les deux tourtereaux disparaissent un jour. Ayuta les retrouvera morts, suicidés dans la neige au pied d'un asunaro…Dès lors, lui qui n'était pas franchement tourné vers l'étude, va décider de lire beaucoup de livres et de travailler dur à l'école. Mais cela lui vaudra des jalousies d'adolescents et il se retranchera dans le sport, sous la protection d'une fille de caractère Yukie, au sein du temple où il est hébergé.

Déménageant encore à Hakata, dans la banlieue de Fukuoka, il tombe amoureux d'une jeune veuve de trois ans son aînée, Nobuko Saburi, qui vit avec ses deux plus jeunes soeurs Eiko et Sadako. Les visitant souvent avec trois camarades de lycée, il ne parviendra jamais à déclarer sa flamme et son souvenir le poursuivra quelques temps. On ne sait jamais très bien s'il s'attache vraiment aux gens cependant, il semble éprouver un peu de jalousie par rapport à ses camarades qui eux ont soit un don, soit un but professionnel, ou un destin tragique. Lui se sent comme un asunaro, pas vraiment à sa place, même lorsqu'il devient journaliste : « Il arrivait parfois à Ayuta de se sentir différent des autres jeunes gens. Les journalistes avec lesquels il travaillait s'agitaient beaucoup autour des filles telles que les serveuses de bar et les soeurs cadettes de leurs collègues, mais il lui était impossible de se joindre à eux. Son coeur ne pouvait s'enflammer de cette manière juvénile. Il avait beau faire, ces filles, comparées à Nobuko, lui paraissaient toutes misérables et souillées. » Après s'être finalement vu imposer sa première étreinte, furtive et fantômatique par une dénommée Kiyoka, puis avoir subi la mort de son mentor et ami journaliste Harusan, il part pour Osaka et se lie d'amitié teintée de rivalité professionnelle avec un redoutable journaliste, Chôsuke Sayama.

Mais la guerre arrive, il sera mobilisé, sans dommage…avant que la dernière partie du roman nous situe au sortir de cette deuxième guerre mondiale, dans un Japon de la ruine, de la débrouille, où Ayuta qui vit correctement de son métier s'est pourtant entouré d'une petite troupe de quatre-cinq amis peu favorisés, dont une jeune femme d'une vingtaine d'années, Oshige, qui ne va à nouveau pas le laisser indifférent...

Ce roman au format assez ramassé est un agréable moment de lecture, bien dans le style à la fois limpide et classique de l'auteur. Il nous fait découvrir un Japon déjà bien occidentalisé, les changements qui s'opèrent dans la société sur un quart de siècle, la ruine de l'immédiat après-guerre, mais on devine aussi dans ces dernières pages un instinct de survie et une sorte de joie de vivre malgré le malheur qui est le germe d'une formidable résilience collective pour faire renaître le pays.

L'auteur a cependant pris un parti déroutant : lâcher quasi au simple détour d'une phrase, qu'Ayuta s'est marié, a eu deux enfants, et qu'à cause de la guerre il les a mis en sécurité loin d'Osaka, à la campagne. C'est doublement étonnant : d'abord d'être passé si vite sur ce qui n'est pas un détail, et ensuite de voir cet homme plutôt indécis être devenu mari et père, c'est loin d'être anodin ! Cela m'a donné l'impression qu'Inoue voulait minimiser l'importance de ces informations, qui auraient eu tendance à casser le propos qu'il déroulait depuis le début, qu'Ayuta est un asunaro ! C'est aussi un incorrigible soumis à la volonté des femmes, qui influent sur son destin. Ces femmes sont dominantes et libres, ce qui est atypique au Japon.

Les sources autobiographiques ne font guère de doutes quand on sait qu'Inoue a été élevé par sa grand-mère, ce qui apparaîtra dans son diptyque ShirobambaKôsaku, et qu'il écrit ce roman à 45 ans, après s'être décidé à vivre de son métier d'écrivain. Or c'est pratiquement aussi l'âge qu'il fait atteindre à son personnage d'Ayuta lorsqu'il couche la dernière ligne de ce récit.
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