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Citations sur À travers un verger - Les Cormorans - Beauregard (10)

Quand on vieillit, le regard intérieur se fait myope. On rêve moins. On devient plus avide et plus avare. On vieillit quand on commence à se retourner.
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Même sédentaires, même carnassiers, nous ne sommes jamais que des nomades. Le monde ne nous est que prêté. Il faudrait apprendre à perdre.
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Avril   [l'une des 'Trois fantaisies']
     
Les lignes du râteau peignent la terre, la rident comme une eau. Il faut les tracer quand celle-ci n'est pas trop sèche, sinon de la poussière s'élève et envahit la maison, se déposant sur les tables, les livres, les flacons. Des moines, en Extrême-Orient, ont créé des jardins de méditation à partir de ces lignes et de quelques pierres. Cela ne me surprend pas, car les dessins du râteau produisent une sorte d'apaisement intérieur, un sentiment de plénitude silencieuse. Pourquoi ? Ai-je coiffé la terre comme je coiffe encore quelquefois mon enfant, qui n'est plus une enfant ? Ce travail facile, ces gestes qui s'accommodent de la lenteur et de la distraction, brisent la mince écorce que la chaleur avait rendue imperméable, opaque ; on voit de nouveau la matière plus sombre, intime, vivante de la terre. Celle-ci s'est rouverte en même temps qu'elle s'est ordonnée. Ressemblerait-elle à ces persiennes qui laissent passer la lumière en la striant ? Je ne sais trop. Sans doute faut-il plutôt penser à des ondes, à la vibration d'une voix, à l'écriture d'un chant... On aurait fait apparaître un chant à la surface de ce sol qui nous porte et nous recevra ; une fois que c'est achevé, comme devant une surface de neige fraîche, on hésite à y marquer son pas.
     
     
BEAUREGARD, 1976-1980.
(Note : Ce recueil a paru en édition originale avec des gravures de Zao Wou-Ki aux éditions Maeght, Paris, en 1981).
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J'ai toujours eu dans l'esprit, sans bien m'en rendre compte, une sorte de balance. Sur un plateau il y avait la douleur, la mort, sur l'autre la beauté de la vie. Le premier portait toujours un poids beaucoup plus lourd, le second, presque rien d'impondérable. Mais il m'arrivait de croire que l'impondérable pût l'emporter, par moments.
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Chaque fois que je suis passé, en cette fin d’hiver, devant le verger d’amandiers de la colline, je me suis dit qu’il fallait en retenir la leçon, qu’ils auraient tôt fait de se taire comme chaque année ; sans cesse autre chose m’a distrait de cette tâche, de sorte qu’à présent je ne peux plus me fier qu’au souvenir que j’en ai, déjà trop vague, presque effacé, incontrôlable. Néanmoins, je ne me déroberai pas.
C’était comme si je découvrais une espèce différente d’amandiers (probablement du seul fait de leur nombre, ou de leur répartition, du lieu ou même de la couleur du ciel durant ces jours-là).
Leur floraison semblait plus confuse, plus insaisissable ; et surtout d’un blanc moins pur et moins éclatant que celui d’une fleur isolée, observée de près. Aurais-je dû regarder mieux, m’arrêter, réfléchir ? Ou est-il préférable de ne l’avoir pas fait, justement ? De toute façon, à présent, c’est trop tard. Il ne me reste plus dans la mémoire qu’un brouillard à peine blanc, en suspension au-dessus de la terre encore terreuse, devant les sombres chênes-verts, en ce bas de pente ; ce bourdonnement blanc...
Mais « blanc » est déjà trop dire, qui évoque une surface nette, renvoyant un éclat blanc. Là, c’était sans aucun éclat (et pas transparent pour autant). Timide, gris, terne ? Pas davantage. Quelque chose de multiple, cela oui, un essaim, de multiplié : des milliers de petites choses, ou présences, ou taches, ou ailes, légères – en suspens, de nouveau, comme à chaque printemps -, une sorte d’ébullition fraiche ; un brouillard, s’il existait un brouillard sans humidité, sans mélancolie, où l’on ne risque pas de se perdre ; quelque chose, à peine quelque chose ….
Essaim, écume, neige : les vieilles images reviennent, elles sont pour le moment les moins disparates. Rien de mieux.
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Je pense à présent à des histoires de voyageurs franchissant un col dans un tourbillon de neige. Cela seulement, rien de plus : sans savoir, sans chercher ce qu'il advient d'eux de l'autre côté. Le tourbillon de ce verger est-il en même temps le voyageur ? Je ne veux rien affirmer, ici, en ce moment.
Je risque un mot, une image, une pensée, je les retire ou les abandonne, c'est tout, puis je m'en vais. J'ai ce verger derrière moi maintenant, c'est à peine s'il a touché terre, il ne le peut pas, pourquoi est-ce qu'on marche, j'ai l'âme enveloppée de neige tout à coup, mais ce n'est pas une neige venue d'en-haut et qui tombe, et qui ensevelit sous un froid chuchotement, celle-ci monte, flotte, fait halte.

Tu l'as croisée. Ne te retourne pas.

Elle a ouvert, elle a fermé les yeux.
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J'en reviens au verger d'avril. Ce texte, à un certain moment, m'a irrité, comme d'autres, analogues, mais antérieurs ; je sais bien pourquoi. À la longue, je lui trouvais quelque chose de futile : comme un ouvrage mené dans une chambre calfeutrée, à la lueur d'un de ces globes de verre remplis d'eau qui diffusaient la lumière, jadis, dans certains ateliers, sur des travaux délicats, patients, minutieux, alors qu'au-dehors des outils plus aiguisés, ceux de la maladie ou ceux du temps, poursuivent un travail qui arrache des cris, qui écorche. C'était de nouveau l'histoire de la balance, dont j'aurais voulu rapprocher davantage ou même confondre les plateaux opposés.
    
Cet agacement, l'abandon de ce texte à mi-chemin pendant des mois, signifient-ils que ces images merveilleuses me sont devenues indifférentes ou même insupportables ? Non. C'est bien pourquoi j'essaie ici des réponses, comme elles me viennent à l'esprit. Par exemple, j'imagine qu'un écrivain saisi peu à peu, ou soudain – pour s'être heurté de plus près au malheur –, de doute quant à la réalité des issues que ses images les plus pures semblaient lui désigner, puisse, au lieu de les renier et de s'acharner contre elles pour les détruire (cela arrive), entreprendre de leur trouver leur juste place dans le cours de sa vie (donc dans la trame de son texte), et de les garder là, lointaines, menacées, précaires, à l'intérieur d'un ensemble plus rude et plus opaque ; pour éviter de les « monter en épingle », c'est-à-dire de les figer, de les dénaturer. Ce serait alors supposer qu'elles ont, ces images, ces promesses, ces éclaircies, leur place dans un ordre, au même titre que le malheur qui les obscurcit. Notre vie serait pareille à une œuvre musicale avec ses dissonances nécessaires ; et pour être « vrais », nous autres qui écrivons, nous n'aurions plus qu'à peser avec soin le dosage, dans notre œuvre, du clair et de l'obscur. Mais justement, ce n'est pas si facile. La lumière est peut-être plutôt une rupture qu'un facteur d'harmonie ; une certaine obscurité, en tout cas, n'est vraiment elle-même que si elle ne se laisse pas apprivoiser, concilier, soumettre.
...
Peut-être y a-t-il une espèce d'issue. Car ce qui m'a arrêté dans mon élan – quand j'allais franchir le verger comme un réfugié la frontière qui le sauve – est si dur, si massif, si opaque, cela échappe si définitivement à la compréhension, à l'acceptation que, ou bien il faut lui concéder la victoire absolue, après quoi il ne sera plus possible de survivre qu'hébété, ou bien il faut imaginer quelque chose d'aussi totalement inimaginable et improbable qui fasse s'écrouler ce mur, quelque chose dont ces vues seraient des éclats épars, venus comme d'un autre espace, étrangers à l'espace, en tout cas différents du monde extérieur non moins que du monde intérieur à la rencontre desquels ils surgissent – sans qu'on puisse jamais les saisir, ni s'en assurer la possession.
    
    
À TRAVERS UN VERGER, 1971-1974. (II, extraits)
(Note : Ce recueil a paru en édition originale avec des gravures de Tal Coat aux éditions Fata Morgana, Montpellier, en 1975).
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Quand on part très tôt, avant que le soleil ne soit dans sa force, on croit surprendre, au bord de la route vide, le sommeil des prés. Quelque chose de nocturne, d'humide et de frileux s'attarde à l'orée des bois de chênes, et aussi une sorte de silence.
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Même sédentaires, même casaniers, nous ne sommes jamais que des nomades. Le monde ne nous est que prêté. Il faudrait apprendre à perdre ; et l'image du verger, à peine la retenir.
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Méfie-toi des images. Méfie-toi des fleurs.
Légères comme les paroles. Peut-on jamais savoir si elles mentent, égarent, ou si elles guident ?
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