J'ai toujours fait les choses à contre-courant ou suivant mon propre courant. Au moment où s'excitent les réseaux sociaux sur les livres à venir, j'avais envie de vous parler de
la petite femelle de
Philippe Jaenada.
La petite femelle, c'est avant tout une histoire d'amour.
Entre un homme et une femme.
Séparés par 50 ans.
Philippe Jaenada retrace la vie de Pauline Dubuisson, auteure d'un crime passionnel dans les années 50 et lourdement condamnée.
Avec la petite voix qui le caractérise, il mène une enquête fournie et scrupuleuse. Il étire des scènes anodines de la vie sur des pages entières comme pour construire un pont entre nous et elle. Entre lui et elle.
Au travers de cette enquête digne d'une histoire passionnante de
Pierre Bellemare qu'on écouterait avidement, les yeux fermés, l'oreille collée à la radio comme dans les années 80, dans le doux ennui d'un début d'après-midi dans une morne campagne, c'est non seulement sa vie à elle que l'on découvre mais aussi la France de la Guerre, la France des années post-guerre, la France des années 50. Autant vous le dire de suite, on est loin de la France des résistants et de la liesse post-guerre. Cela ressemble plutôt salement, méchamment à une France misogyne, étriquée, dont l'opinion publique tire à vue, tire la sonnette de la bienséance, tire tout vers le bas. Et cela résonne étrangement avec celle des années 10 et des réseaux sociaux.
Le procès d'une femme devient le procès de la femme ; et c'est pas joli joli.
Au fur et à mesure des découvertes et réajustements historiques rigoureux auxquels se livre l'auteur, une tendresse se dessine. Ses intrusions du présent dans les lieux qu'elle a fréquentés trace le trait d'union entre elle et lui. On sent son désir de la serrer très fort dans ses bras, l'aimer, la consoler. de la vie. de ces hommes persuadés de leur droiture. de cette négation totale des aspirations de cette jeune femme à simplement être elle-même.
L'histoire pourrait être glauque, elle l'est d'ailleurs, mais elle n'est pas que glauque. Grâce à l'humour et le sens de la dérision de Philippe, grâce aussi à cette formidable tendresse pour Pauline, Pauline Dubuisson, toutes les petites Pauline à venir.
Par amour, le récit devient féministe.
Son histoire devient un peu la nôtre. Celle d'une trajectoire contrariée. Celle que peuvent vivre toutes celles et tous ceux qui n'ont pas su se résoudre à être simplement ce que la société ou les bonnes moeurs attendaient d'eux.
A toutes celles et tous ceux qui refusent de se résigner.
A toutes celles et tous ceux qui, peut-être à sa lecture, refuseront de se résigner.
(Il se trouve que
Philippe Jaenada use beaucoup de la parenthèse, comme une machine à remonter le temps ou à le suspendre, à transformer 3 mots et une sensation en 50 pages. Je me devais donc de lui rendre un hommage complet, à défaut d'être subtil. J'écris depuis ma terrasse, les pieds sur la table (je fais ce que je veux, je suis chez moi), admirant mes ongles d'orteil joliment teintés de rouge que je n'ai pour une fois pas perdus lors du marathon de Paris (j'ai failli perdre la vie, j'aurais préféré perdre les ongles, comme les années précédentes mais je n'ai pas dû cocher la bonne option), je contemple la couverture du livre en me disant qu'être aimée ainsi à distance ça lui fait une belle jambe à Pauline (je ne sais pas si elle aussi elle vernissait ses ongles mais elle n'a jamais couru de marathon), je me dis que défendre les livres écrits par des auteurs qui défendent les femmes, c'est un bon moyen pour que les Pauline d'aujourd'hui ne deviennent pas comme Pauline Dubuisson (sauf pour les ongles vernis, mais c'est pas obligé non plus). Je me dis qu'on va encore se moquer de moi (pas à cause du vernis mais parce qu'il parait que je parle beaucoup et souvent de
Philippe Jaenada (il a écrit d'autres livres aussi bons que
la petite femelle)(si ça se trouve il porte aussi du vernis, je n'ai jamais vu ses pieds nus (à Philippe)). Je contemple le soleil couchant sur ma terrasse et je me dis que je m'en fous de ce qu'on peut dire. Moi je l'aime,
la Petite femelle. de
Philippe Jaenada)